En 2024, plus de 90 professionnels de santé, étudiants en médecine et responsables d’établissements de santé de Roumanie ont appris à reconnaître et à soutenir les victimes de violence sexiste. Le bureau de pays de l’OMS en Roumanie a coorganisé 4 séances de formation avec les autorités nationales sur le thème du renforcement de la riposte du système de santé face à la violence sexiste.
Ces dernières années, le pays a pris des mesures importantes pour améliorer son système de soins de santé afin de lutter contre ce type de violence et a œuvré à l’application de la Convention d’Istanbul, un traité sur les droits humains qui vise à prévenir et à combattre la violence à l’égard des femmes ainsi que la violence domestique.
Chaque année, la campagne mondiale « 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes » rend compte des progrès réalisés dans la prévention et la lutte contre la violence sexiste, ainsi que les défis qu’il reste à relever. En Roumanie, l’Agence nationale pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes a créé 10 centres pour les victimes de violences sexuelles. Situés dans les locaux d’hôpitaux départementaux, leur rôle est de faciliter les soins aux victimes par l’adoption d’une approche intégrée.
Écouter, reconnaître et aider
« Quelle que soit sa spécialité, chaque médecin doit être préparé à reconnaître les actes de violence sexiste et à intervenir », précise Elena Bernad, obstétricienne et professeure associée à l’Université de médecine et de pharmacie Victor Babeș de Timișoara, qui a participé à l’organisation de la dernière séance de formation.
Le parcours d’Elena est façonné par son propre vécu. Après avoir réfléchi aux cas de violence sexiste qui ont pu passer inaperçus dans son cabinet en raison d’un manque d’information et de formation, elle a décidé de renforcer la riposte des soins de santé face à ces actes en améliorant l’éducation.
Après avoir participé à une séance de formation sur l’établissement de protocoles, l’état de préparation des services et des établissements et les obstacles systémiques à l’accès au sein du système de santé, Elena a estimé qu’elle possédait les compétences nécessaires pour identifier et prendre en charge efficacement les cas de violence sexiste. Depuis, elle fait bénéficier ses pairs de son expertise en la matière, ouvrant ainsi la voie à un changement significatif.
L’approche d’Elena s’articule autour de 3 principes fondamentaux : écouter, reconnaître et aider. « Il ne suffit pas de reconnaître les signes de violence », explique-t-elle, « il faut écouter sans juger, proposer une aide significative et veiller à ce que la victime se sente en sécurité et soutenue tout au long du processus ».
Elena souligne également l’importance d’une collaboration multidisciplinaire au sein des hôpitaux, où les médecins, les psychologues, les travailleurs sociaux et les professionnels du droit doivent travailler ensemble pour soutenir les victimes. Réfléchissant à son parcours, elle plaide pour l’intégration de modules de prise en charge de la violence sexiste dans les programmes des facultés de médecine, affirmant que « l’attitude d’un médecin peut faire toute la différence ».
Apporter un soutien de première ligne
Pour Carla Pop, étudiante en médecine qui prévoit de se spécialiser en obstétrique et en gynécologie, la formation lui a permis de comprendre comment les prestataires de soins de santé peuvent aider les victimes d’actes de violence sexiste. « Avant ce cours, je n’avais qu’une compréhension superficielle de la manière de soutenir les victimes. Aujourd’hui, je me sens mieux équipée pour apporter un soutien de première ligne, que je sois ou non spécialisée en gynécologie », déclare-t-elle.
Carla s’en remettait auparavant à l’apprentissage autodidacte pour comprendre la violence sexiste. Elle met en avant l’importance d’inclure cette formation dans les programmes médicaux standardisés afin d’offrir des connaissances plus vastes et plus nuancées.
« Lorsque l’enseignement est normalisé, cela garantit que les étudiants reçoivent une formation complète et fondée sur des données probantes, allant au-delà de la théorie pour inclure des scénarios de la vie réelle qui nous préparent réellement à la pratique médicale », explique-t-elle.
Les établissements de santé étant souvent le premier point de contact des victimes d’actes de violence sexiste, Carla considère comme essentielle la lutte contre l’invisibilité des cas de violence sexiste et la stigmatisation qui les entourent. « Souvent, on ne se reconnaît pas comme des victimes. Les médecins peuvent être une bouée de sauvetage, en particulier lorsque les victimes ne cherchent pas d’aide ailleurs, mais nous devons créer des espaces sûrs pour que les victimes se sentent soutenues. »
Carla est convaincue que l’introduction d’une formation obligatoire à la violence sexiste dans toutes les spécialités médicales améliorerait considérablement la capacité du système de santé à résoudre ce problème. « La violence sexiste n’est pas aussi rare qu’on pourrait le croire. Si tous les médecins sont formés dans ce domaine, on fait prendre conscience de l’importance de savoir comment dispenser les meilleurs soins médicaux. »
L’adoption innovante d’une approche globale des soins
Simona Tămașan coordonne le Centre d’intervention contre les violences sexuelles, situé dans les locaux de l’hôpital départemental d’urgence Pius Brînzeu à Timișoara. Elle insiste sur l’impact transformateur de la présence d’un service spécialisé dans un hôpital général, en l’occurrence l’un des plus grands hôpitaux de l’ouest de la Roumanie.
« Le Centre propose plus que des soins médicaux – il dispense des soins intégrés aux victimes », explique-t-elle. « Depuis son lancement il y a 8 mois, le personnel a réalisé d’importants progrès en matière d’éducation. Le Centre nous a permis de sensibiliser au sujet très sensible de la violence sexuelle et de la violence entre partenaires intimes, et de déstigmatiser cette problématique. »
Simona insiste également sur la nécessité de créer des équipes pluridisciplinaires formées pour aider les victimes d’actes de violence sexiste : « en organisant des séances de formation sur la violence sexiste dans tous les services, de la gynécologie à la psychiatrie en passant par les services sociaux, nous pouvons mettre en place un réseau qui garantit la prestation de soins complets aux victimes ».
Elle souligne en outre l’importance de tenir compte à la fois des facteurs de risque et des facteurs de protection. « Dans presque tous les cas, cette approche permet de faire remonter à la surface des problèmes connexes tels que la dépendance et la consommation d’alcool. »
La formation lui a permis, ainsi qu’à son équipe, de mettre au point un outil normalisé pour soutenir les victimes, comblant ainsi une lacune importante à cet égard. En réfléchissant au programme de formation, elle souligne son rôle crucial dans la déstigmatisation de la violence sexiste et dans la promotion de la collaboration entre les services médicaux, juridiques et sociaux. Elle précise également que les professionnels de santé ont besoin d’être soutenus pour gérer la charge émotionnelle de leur travail.
Les prochaines étapes pour la Roumanie
Les points de vue exprimés par Elena, Carla et Simona illustrent le rôle essentiel des prestataires de soins de santé dans la lutte contre la violence sexiste. Si la formation a permis de faire évoluer la situation, il reste des défis à relever, notamment la nécessité d’intégrer davantage de modules sur la violence sexiste dans les programmes de formation pré-emploi, de consacrer des ressources et d’assurer un développement professionnel continu.
« L’étape la plus difficile, à savoir la reconnaissance du problème et la création de centres spécialisés, a été franchie. Maintenant, nous devons nous concentrer sur l’éducation, la collaboration et le plaidoyer soutenu pour s’assurer qu’aucune victime n’est laissée de côté », indique Simona.
L’expérience roumaine met en avant le potentiel de l’éducation, de la collaboration et de la compassion dans la lutte contre la violence sexiste, et peut sans aucun doute constituer une source d’inspiration pour d’autres.