WHO
© Credits
WHO
© Credits
/

Ces femmes qui dirigent les activités des bureaux de pays de l’OMS en Pologne et en Arménie : entretien avec les docteurs Nino Berdzuli et Marthe Everard

6 mars 2024
Dix-sept femmes occupent des postes à responsabilités à travers les 32 bureaux de pays de la Région européenne de l’OMS, dont des cheffes de bureau par intérim et des représentantes spéciales. Nous nous sommes entretenus avec 2 d’entre elles pour découvrir ce qui motive leur passion pour l’amélioration de la santé.

Une vie au service de la santé de la femme : Dr Nino Berdzuli

Le docteur Nino Berdzuli se souvient parfaitement du moment où elle a su qu’elle voulait devenir médecin : on lui a offert en cadeau pour son 5e anniversaire un stéthoscope jouet avec lequel elle a fait semblant d’écouter les battements de cœur d’un bébé. En tant que femme médecin de la troisième génération, sa décision de se spécialiser en obstétrique et en gynécologie n’a fait que confirmer son ferme engagement en faveur de la santé de la femme.

Le docteur Berdzuli avait initialement prévu, une fois diplômée, de n’exercer qu’en contact direct avec les patientes. Or, les inégalités en matière de santé dont elle a été témoin dans sa Géorgie natale ont changé son point de vue à cet égard. 

« Lorsque j’ai commencé à exercer, la Géorgie avait l’un des taux d’avortement les plus élevés au monde », explique le docteur Berdzuli. « Certaines de mes patientes avaient subi jusqu’à 25 avortements. La compétence en matière de contraception et de planification familiale relevait exclusivement des gynécologues-obstétriciens, et les avortements donnant lieu à des honoraires plus élevés, les gynécologues-obstétriciens n’étaient guère incités à proposer des services de planification familiale. De nombreuses femmes avaient des croyances erronées sur les méthodes modernes de contraception et, combiné à l’absence de services dans les zones rurales, le défi semblait énorme. » 

« J’ai été l’une des premières à libéraliser les services de planification familiale dans le pays au début et au milieu des années 2000. J’ai engagé un processus visant le changement de politique ainsi que le renforcement des capacités et la formation des prestataires de soins de santé afin que les femmes puissent bénéficier de ces services à travers leur médecin de famille. Cela n’a pas été facile, mais avec de la patience et de la persévérance, nous sommes arrivés à nos fins », ajoute-t-elle.

Ayant été témoin direct de l’impact du manque de services de santé sexuelle et reproductive sur la vie des femmes, le docteur Berdzuli considère cette question comme l’une des priorités de son rôle de représentante de l’OMS auprès de la République de Pologne. « Je veux que chaque Polonaise ait accès aux outils nécessaires pour planifier sa grossesse, et qu’elle ait le droit de le faire », explique-t-elle. « Qu’il s’agisse du financement d’un traitement de fertilité ou d’un moyen contraceptif d’urgence en vente libre pour prévenir une grossesse non planifiée, toutes les données indiquent que, lorsque les femmes ont la possibilité de planifier leur famille, cela a un effet transformateur sur la société dans son ensemble. »

Tout au long de sa carrière, le docteur Berdzuli s’est toujours employée, lors de sa prise de décisions, à garder à l’esprit un facteur primordial, à savoir l’impact sur les patientes et leur accès à la médecine. Le fait de travailler dans des milieux à faibles revenus, que ce soit en Afrique, en Asie du Sud-Est ou aux États-Unis d’Amérique, lui a ouvert les yeux sur la dure réalité des inégalités. 

Dans un contexte où le système de santé était beaucoup moins développé dans les zones rurales que dans les zones urbaines, le docteur Berdzuli s’est rendue dans des régions reculées où la majorité des accouchements s’effectuaient avec l’aide d’agents de santé communautaires, et où les services de maternité les plus proches se trouvaient à 2 jours de marche. Elle a constaté, non sans étonnement, que des personnes non qualifiées administraient certains médicaments qui, s’ils ne sont pas utilisés correctement, peuvent avoir des effets secondaires complexes.

« C’était une situation impossible », explique-t-elle. « Je n’avais jamais vu une telle ampleur de mortalité due à l’hémorragie post-partum. Certains médicaments peuvent empêcher les femmes de mourir, mais lorsque l’établissement le plus proche où elles peuvent être soignées en toute sécurité par un médecin ou une sage-femme qualifiés se trouve à 2 jours de marche, la perspective change du tout au tout. » 

« L’expérience la plus surprenante que j’ai vécue a peut-être été celle de mon stage clinique à Atlanta, dans l’État américain de Géorgie. Bien que les hôpitaux soient incroyablement bien équipés et que le niveau des soins soit élevé, les disparités de santé aux États-Unis sont tout aussi répandues que dans les pays moins développés », explique le docteur Berdzuli. « J’ai travaillé auprès de populations où la proportion de mères ayant bénéficié de soins prénatals à un stade très avancé de leur grossesse, ou n’ayant bénéficié d’aucun soin prénatal, était importante. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre qu’en tant que responsable politique, il est de mon devoir de bien connaître les communautés que nous servons, de comprendre les facteurs d’inégalité et d’aider à agir sur ces facteurs. »

Le docteur Berdzuli s’est fixé comme objectif personnel d’éliminer le cancer du col de l’utérus en Pologne et partout ailleurs.

« Je n’oublierai jamais cette patiente atteinte d’un cancer du col de l’utérus à un stade avancé et mère d’une fille de 6 ans. Sa fille m’a demandé si je pouvais sauver sa mère, et cela m’a brisé le cœur de voir que, malgré les moyens de vaccination, de dépistage et de traitement à un stade précoce, le cancer était trop avancé. Tellement de progrès et d’avancées technologiques ont été accomplis dans le domaine du diagnostic précoce et du traitement de cette maladie, et je considère que mon rôle de responsable politique est de veiller à ce que nous optimisions ces technologies pour que plus aucun enfant ne perde sa mère. »

Un engagement à soulager la souffrance : Dr Marthe Everard 

Bien que de nationalité néerlandaise, le docteur Marthe Everard, représentante spéciale du directeur régional de l’OMS pour l’Europe en Arménie, est née à Singapour. Elle a ensuite étudié la pharmacie à Amsterdam, mais savait qu’elle voulait travailler au niveau international. « Mon idée était toujours de faire quelque chose d’utile, quoi que ce soit, et d’aller à l’étranger », explique-t-elle.
 
Ses premières recherches sur la lèpre se sont transformées en passion pour la santé publique. Le docteur Everard s’est vu confier le poste, en sa qualité de pharmacienne, d’administratrice auxiliaire de l’OMS au sein du Programme des médicaments essentiels. Elle a ensuite été affectée en Afrique de l’Est, de l’Ouest et du Nord, où elle a travaillé sur le système de distribution des médicaments, intégré l’utilisation rationnelle des médicaments essentiels dans le programme de soins de santé primaires, et coordonné les études de l’OMS sur la tolérance des médicaments aux climats dans les zones désertiques. 
 
« En tant que femme, je n’ai jamais eu de problèmes dans les pays où j’ai travaillé », ajoute-t-elle. « J’ai toujours été respectée. Même en tant que femme, j’avais le statut d’un expert masculin, et je ne me suis donc jamais retrouvée dans une position délicate. Cela m’a donné l’envie de continuer. » 
 
Néanmoins, elle se réjouit des efforts menés ces 10 à 20 dernières années par l’OMS pour mieux respecter l’égalité des sexes dans ses activités. 
 
« Si l’on veille à ce qu’une discussion soit inclusive, qu’elle implique les femmes et les hommes et tous les partenaires, on arrive ensemble à nos fins », explique-t-elle. 
 
Sa première mission en tant que représentante de l’OMS en Somalie a éveillé en elle une passion inébranlable pour la prise en charge de la douleur. « À l’époque, il n’existait pas de médicaments anti-douleur dignes de ce nom, et lorsque l’on opérait des patients, ils devaient simplement mordre un bâton entre leurs dents », raconte-t-elle. « La colère que j’ai ressentie face à cette situation n’a fait que renforcer ma motivation. J’étais tellement en colère que je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. » 
 
En Somalie, le docteur Everard a pu constater de visu que les femmes et les jeunes filles peuvent être particulièrement vulnérables dans les situations d’urgence, mais elle a également été frappée par l’esprit d’innovation des femmes, l’attention qu’elles portent à leurs enfants et le rôle majeur joué par la communauté. Elle a acquis une plus grande expérience des situations de crise lorsqu’en tant que représentante de l’OMS en Ukraine, elle a supervisé l’acheminement de fournitures d’urgence pour le conflit alors gelé dans la région du Donbass. 
 
Après une longue carrière, le docteur Everard a pris sa retraite à la fin 2018, mais elle a été rappelée pour une mission de courte durée en tant que représentante de l’OMS au Tadjikistan (2019), puis en Arménie (2023-2024). Elle a supervisé l’intervention sanitaire d’urgence au récent conflit du Haut-Karabakh, notamment le soutien de l’OMS aux soins des grands brûlés suite à l’explosion d’un dépôt de carburant. Épaulée par une équipe solide et majoritairement féminine, elle veille à la poursuite des programmes de santé et des activités de développement du bureau de pays de l’OMS en Arménie, tout en appuyant les services de santé mentale et psychosociaux qui font cruellement défaut dans le pays. 
 
« Travailler au sein de cette équipe de pays, connaître leurs ambitions et écouter leurs témoignages me donne vraiment de l’énergie », explique-t-elle. « C’est un pays très complexe sur le plan historique et géopolitique. Le fait que chaque jour soit différent me motive. » 
 
« Le rôle de représentante de l’OMS », ajoute-t-elle, « est très intéressant : il consiste à collaborer étroitement avec le ministère de la Santé et à le soutenir dans ses activités. J’adore travailler avec les partenaires de la santé et les autres agences des Nations Unies, et interagir avec les donateurs. » 
 
Après son affectation en Arménie, le docteur Everard prévoit de se consacrer à sa passion pour l’amélioration de l’accès à la prise en charge de la douleur, en particulier dans le cadre des soins palliatifs. Elle est également le mentor de jeunes professionnels, hommes et femmes, et s’appuie sur sa riche expérience professionnelle pour les aider à faire carrière à l’OMS.