L’épidémie de grippe est revenue à ses niveaux de base dans la Région européenne de l’OMS, les cas étant récemment passés sous le seuil saisonnier pour la première fois depuis le début du mois de décembre. Bien que cela atténue la pression immédiate exercée par la grippe sur les systèmes de santé de la Région, les préparatifs se poursuivent en vue de la prochaine saison grippale, et les experts sont vigilants quant à l’émergence éventuelle d’un virus à potentiel pandémique.
Nicola Lewis, directrice du Worldwide Influenza Centre à l’Institut Francis Crick de Londres (Royaume-Uni) ne mâche pas ses mots quand il s’agit des risques posés la grippe : « selon moi, les chances que la maladie X soit un virus de la grippe sont probablement plus grandes que pour tout autre groupe d’agents pathogènes connus auquel je peux penser », explique-t-elle. La maladie X est un terme utilisé pour décrire une nouvelle maladie hypothétique ou une maladie inconnue susceptible de provoquer une nouvelle pandémie.
L’Institut Francis Crick est l’un des 7 centres collaborateurs de l’OMS chargés d’analyser les virus de la grippe circulant dans la population humaine. Il caractérise les souches de grippe et utilise ces informations pour l’évaluation des risques et la mise au point de vaccins, tant pour la grippe saisonnière que pour les souches à potentiel pandémique.
L’Institut fait partie du Système mondial de surveillance de la grippe et de riposte de l’OMS (GISRS) qui regroupe plus de 150 laboratoires et institutions dans le monde.
Adapter les vaccins à l’évolution de la grippe saisonnière
Actuellement, les épidémies annuelles de grippe saisonnière provoquent jusqu’à 650 000 décès dans le monde ; 72 000 d’entre eux, soit environ 11 %, surviennent dans la Région, principalement chez les personnes présentant un risque élevé de maladie grave, notamment les personnes âgées, celles souffrant de maladies cardiaques ou pulmonaires chroniques, les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Le vaccin contre la grippe saisonnière constitue un moyen sûr et efficace de réduire la gravité des infections.
Pour adapter le vaccin aux variants en circulation, l’OMS organise 2 fois par an des réunions avec un groupe consultatif d’experts issus des centres collaborateurs et des laboratoires réglementaires essentiels de l’OMS qui analysent les données de surveillance des virus grippaux générées par le système GISRS. Les recommandations émises sont suivies par les agences nationales de réglementation des vaccins et les sociétés pharmaceutiques en vue d’élaborer, de produire et d’homologuer des vaccins antigrippaux pour la prochaine saison grippale.
Étant donné que la saison grippale coïncide avec la saison automne/hiver dans l’hémisphère nord, et que la fabrication et la distribution des vaccins prennent du temps, la réunion de recommandation sur la composition des vaccins contre le virus de la grippe est organisée en février. « La réunion de recommandation est l’aboutissement d’un très long travail entrepris par le système GISRS, composé de 151 centres nationaux de la grippe dans plus de 129 États membres », explique Nicola Lewis.
« Les centres nationaux de la grippe reçoivent les échantillons cliniques positifs pour les virus de la grippe et entament le processus d’analyse », ajoute-t-elle. « Ils partagent ensuite ces échantillons avec les 7 centres collaborateurs de l’OMS, dont celui de Londres, qui prennent ensuite le relais pour analyser les séquences génétiques et les propriétés antigéniques de ces virus (la réponse immunitaire chez les individus). »
Les centres collaborateurs de l’OMS transmettent ces informations aux experts de la réunion de recommandation qui, pendant 1 semaine, examinent les données présentées avant de délivrer un avis concernant les souches de grippe saisonnière humaine susceptibles d’être combattues par la production de vaccins adaptés.
« La grippe évolue constamment et notre tâche, en tant que centres collaborateurs, soutenue par l’énorme quantité de travail effectuée par les centres nationaux de la grippe, est de nous assurer que nous comprenons l’évolution des virus. Le vaccin contre la grippe saisonnière constitue un élément essentiel de notre arsenal de protection de la population humaine. »
Propagation de la grippe par les animaux
Lors des réunions de recommandation sur la composition des vaccins antigrippaux, les experts analysent également les virus qui circulent dans les populations animales afin de préparer des candidats-vaccins qui pourraient jouer un rôle essentiel dans la lutte contre une nouvelle pandémie.
« L’un des aspects fascinants de la grippe est qu’elle évolue en permanence, ce qui signifie qu’elle est capable d’échapper à l’immunité que nous avons pu préalablement acquérir contre un virus de la grippe particulier », explique Nicola Lewis.
« Les virus de la grippe peuvent également subir ce que nous appelons un réassortiment, qui se produit lorsque 2 virus de la grippe différents infectent une personne ou un porc en même temps. Ils modifient leur matériel génétique de sorte que la descendance du virus issue du porc ou de l’homme est en fait différente. »
Les porcs représentent le milieu idéal dans lequel la grippe peut muter, car ils peuvent attraper la grippe des oiseaux et des humains. Des virus provenant de populations animales spécifiques se répandent périodiquement dans d’autres populations animales ou chez l’homme, où ils peuvent causer de graves dommages. S’ils sont parfois à l’origine d’infections isolées, ils peuvent provoquer une pandémie.
Se préparer à une pandémie potentielle
La grippe aviaire hautement pathogène suscite de l’attention en raison de son évolution rapide récente et de sa détection continue chez le bétail aux États-Unis d’Amérique. Si elle s’avère mortelle pour les volailles domestiques, jusqu’à présent, elle n’est pas facilement transmissible à l’homme. Depuis 2020, des souches du virus se sont répandues dans le monde entier par l’intermédiaire d’oiseaux sauvages, dans toute l’Eurasie ainsi qu’en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, et même dans l’Antarctique.
En plus de tuer des millions d’oiseaux sauvages et domestiques, y compris des volailles destinées à la consommation humaine, la grippe aviaire hautement pathogène s’est également révélée transmissible et dangereuse pour des mammifères tels que les tigres, les renards, les visons et les otaries à fourrure. Les infections chez les mammifères sont particulièrement préoccupantes car elles peuvent créer un potentiel de mutations qui augmentent le risque de propagation de mammifère à mammifère et de transmission à l’homme ou interhumaine.
« Nous n’avons jamais vu ce genre de situation avec un virus H5 hautement pathogène auparavant. Si vous m’aviez posé la question en 2019, je pense certainement que je n’aurais jamais imaginé un tel scénario pour la grippe aviaire », précise Nicola Lewis.
Les chercheurs du Worldwide Influenza Centre de l’Institut Francis Crick se sont engagés à comprendre ces changements évolutifs afin de soutenir les efforts mondiaux de préparation à une pandémie potentielle de virus de la grippe.
Nicola Lewis souligne que les cadres tels que le système GISRS, si essentiels à la préparation à une pandémie mondiale, dépendent de partenariats de confiance et de la diffusion d’informations en temps quasi réel. Elle exhorte les États membres qui négocient actuellement l’Accord sur les pandémies avant la Soixante-dix-septième Assemblée mondiale de la santé à travailler ensemble dans l’intérêt de tous.
« Mon message à la communauté internationale est que nous devons mettre de côté nos réticences. Nous devons abandonner notre esprit de clocher et nous souvenir de l’impact et des conséquences dévastatrices d’une pandémie mondiale, quel que soit l’agent pathogène qui en est responsable. »