Enfant, à un très jeune âge, Jane Lasonder a été victime de la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle. « Je ne savais même pas qu’on appelait ça « traite de personnes », parce qu’il y a des années, ce terme n’était pas utilisé. »
« Je ne peux pas vraiment exprimer la terreur avec des mots. C’était tellement horrible et traumatisant. Mais ce qui était encore pire, c’est que j’étais souvent blessée... Par exemple, une fracture du crâne ou un bras cassé. Et je souffrais de malnutrition. »
Pendant cette période, elle a souvent fini à l’hôpital. Comme c’est le cas pour beaucoup d’autres personnes victimes de la traite de personnes, elle n’a pas reçu les soins dont elle avait besoin parce qu’on ne s’est jamais rendu compte qu’elle en était victime. Avec le recul, elle dit s’être sentie seule et invisible : « Aucun médecin, aucun infirmier n’est jamais venu me demander : « Pourquoi es-tu assise là, terrifiée ? Pourquoi as-tu encore été blessée ? » ».
Se sentant complètement seule, Jane a commencé à avoir peur des hôpitaux : « Je me rappelle d’avoir eu tellement peur que je pouvais à peine respirer. J’étais absolument terrifiée par les médecins et les hôpitaux et d’avoir toutes ces blessures qui n’étaient pas normales, et même de devoir subir un avortement à l’âge de 13 ans. Aucun médecin, aucun infirmier qui m’a vue – et j’avais l’air d’avoir environ 10 ans, à ce moment-là – n’a même posé la question de savoir pourquoi il y avait là une fille enceinte, terrifiée, blessée. »
Jane aurait espéré avoir plus de soutien de la part des médecins et des infirmiers qu’elle a vus étant enfant. Chaque fois qu’elle allait à l’hôpital, c’était une occasion manquée.
Pas un cas isolé
Malheureusement, l’histoire de Jane n’est pas un cas isolé. D’après les dernières estimations de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), rien qu’en 2020, au moins 20 000 personnes ont été victimes de la traite de personnes en Europe et en Asie centrale. Ces chiffres sont en hausse dans la Région européenne de l’OMS et sont très probablement une sous-estimation, car à ce jour encore, beaucoup de victimes de la traite de personnes ne sont pas repérées.
La traite de personnes désigne Ie recrutement, Ie transport, Ie transfert, l’hébergement ou I’accueil de personnes, par le recours à la force, à la fraude ou à la tromperie, aux fins d’exploitation. Il s’agit d’un crime lucratif, de l’exploitation d’hommes, de femmes et d’enfants, qui peut arriver à tout le monde. Cela n’implique pas nécessairement de franchir une frontière ; cela peut arriver sur le territoire national.
Une nouvelle étude exploratoire de l’OMS/Europe a révélé que les agents de santé de première ligne sont souvent les seuls agents du secteur public à rencontrer des victimes de la traite au cours de leur calvaire. Pourtant, beaucoup de victimes de la traite de personnes restent invisibles.
« Le gros problème, c’est de voir qu’elles sont en situation de traite de personnes, parce que si elles arrivent aux urgences, si elles ont un bras cassé ou quelque chose du genre, on s’occupe du bras cassé – et si l’on n’y pense pas, on ne voit pas le problème de la personne derrière le bras cassé », explique Charlotte Møller, consultante principale à l’hôpital universitaire d’Aarhus (Danemark) qui, depuis des années, prend en charge des victimes de la traite de personnes.
La traite de personnes frappe partout
La traite de personnes fait des victimes dans tous les États membres de l’OMS, quel que soit l’état de l’économie nationale, les taux de migration ou la législation sur l’égalité entre les sexes. L’OMS/Europe a demandé à des survivants à la traite de personnes de faire part de ce qu’ils ont vécu.
Shandra Woworuntu, présidente du Conseil consultatif international des survivants de la traite, demande aux travailleurs de la santé de « regarder sous la surface ». Décrivant une situation dans laquelle elle a fait part de sa détresse à des professionnels de santé, elle s’est sentie ignorée : « Les infirmières parlaient de moi derrière le rideau... Le psychiatre a ri et m’a dit que je ne disais pas la vérité. « Êtes-vous sûre d’avoir vécu ça ? », a-t-il demandé. »
D’énormes répercussions sur la santé physique et mentale
La traite de personnes a un impact sur la santé des victimes, avec de profonds dommages physiques et psychologiques. Pour y remédier, les personnes victimes de la traite ont besoin d’une large gamme de services de soins physiques et psychiques, dont une prise en charge de la santé sexuelle, des consultations et des soins dentaires. En situation de traite, les personnes subissent souvent des traumatismes qui entraînent des troubles de santé mentale comme un stress post-traumatique ou de la dépression.
« Quand je regarde en arrière, je pense que si un médecin avait pris le temps de demander comment j’allais, il se serait rendu compte que quelque chose clochait », nous dit Regina Lee Jones, une survivante à la traite de personnes. « Je voudrais que les médecins parlent plus de traumatismes psychiques et de santé mentale. Les connaissances acquises récemment à ce sujet m’ont beaucoup aidée. Ça peut vraiment aider quand on sait ce qui ne va pas, et pourquoi. »
Les systèmes de santé peuvent jouer un rôle capital dans la lutte contre la traite de personnes
Les systèmes et les professionnels de santé sont particulièrement bien placés pour détecter, soigner et protéger les personnes victimes de la traite et celles qui risquent de le devenir. Parlant de son vécu, de la difficulté d’avoir accès à des services de santé sans statut migratoire légal, un survivant établi en Belgique déclare : « Je n’ai jamais eu de contact avec un médecin parce que j’étais sans papiers. J’avais peur des médecins, parce que je pensais qu’ils m’emmèneraient à la police. C’est ce que mon chef m’avait dit. » Il souligne qu’il est important que chacun, quel que soit son statut migratoire, soit informé de ses droits et de la manière d’accéder à des services de santé.
L’étude exploratoire avance les considérations suivantes sur les politiques à mener :
- Quels que soient leur statut ou les ressources dont elles disposent, les personnes victimes de la traite ont besoin d’un accès universel, peu coûteux, à des soins de santé.
- La lutte contre la traite de personnes requiert la mobilisation de multiples secteurs. Aucun pays ou secteur ne peut lutter seul, mais les systèmes de santé jouent un rôle essentiel.
- Les professionnels de santé ont besoin d’être formés aux soins centrés sur le survivant, avec une prise en compte du traumatisme subi. Les systèmes de santé au sein desquels ces professionnels travaillent ne sont pas préparés s’il n’y a pas de formation sur la traite de personnes.
- Des protocoles standardisés et le recours à des systèmes de dépistage et de notification lorsque l’on relève des indicateurs de la traite de personnes aident les professionnels de santé à apporter les soins adéquats.
- Les traumatismes et la réaction à ces traumatismes doivent occuper une place centrale dans les normes de soins pour personnes subissant ou ayant subi la traite d’êtres humains.
- Les politiques visant à limiter les dommages doivent permettre de compenser les facteurs de risque à l’échelle de l’individu, comme les obstacles qui empêchent de signaler des sévices.
- L’objectif d’une identification des personnes victimes de la traite d’êtres humains est de leur assurer des soins de qualité, une possibilité d’agir et un espace où elles sont en sécurité, et non de révéler des faits.
Se faire entendre et sensibiliser
Aujourd’hui, Jane se sert de la parole pour lutter contre la traite de personnes. Elle s’occupe de sensibilisation et assure une formation pour les étudiants en médecine. « Je ne vais pas sauver le monde, mais je peux sauver 1 personne, la fille ou le fils de quelqu’un. Et si c’était ma fille ou mon fils, je ferais tout ce que je peux pour aider cette unique personne. »