Dans la Région européenne de l’OMS, la stigmatisation et la discrimination sont des obstacles auxquels sont confrontées les personnes atteintes de troubles mentaux dans presque tous les aspects de leur vie. Ces obstacles empêchent
la majorité d’entre elles d’obtenir ou de conserver un emploi, de faire des études et même d’accéder aux soins de santé, et ont souvent une incidence négative sur la perception que les gens
ont d’eux-mêmes.
Au Kazakhstan, l’adoption d’approches innovantes visant à combattre la stigmatisation et la discrimination, et à sensibiliser à ces problèmes, porte ses fruits en grande partie grâce au travail persistant
du Centre scientifique national du Kazakhstan, et à ses 2 centres de santé mentale spécialisés fondés par le ministère kazakh de la Santé, en coopération avec l’OMS et ses partenaires.
« Ce n’est pas seulement la stigmatisation [publique] qui pose problème dans notre pays », explique le docteur Nikolay Negay, consultant en santé mentale au bureau de pays de l’OMS au Kazakhstan et ancien directeur
du Centre de recherche sur la santé mentale. « Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ont tendance à se stigmatiser elles-mêmes, se créant ainsi une double barrière. Mais heureusement,
nous commençons petit à petit à inverser cette tendance. »
« Quand le diagnostic est pire que la maladie »
En 2014, le premier programme national de prévention du suicide au Kazakhstan, mis en œuvre par le Centre de recherche sur la santé mentale du Kazakhstan, le ministère de la Santé et le ministère de l’Éducation
avec le soutien technique du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), a révélé que même les membres de la famille hésitent à aider une personne souffrant d’un trouble mental, même
une personne à risque de suicide, simplement par peur de la stigmatisation. On craint souvent plus le diagnostic que la maladie elle-même.
« Les familles encouragent souvent l’auto-isolement et la rupture des liens sociaux », explique le docteur Negay. « Les personnes présentant un risque élevé de comportement suicidaire et leurs aidants ont tendance
à refuser catégoriquement toute aide d’un spécialiste de la santé mentale. Nous avons également été confrontés à une situation où les aidants se plaignaient par écrit
des spécialistes de la santé mentale qui voulaient rendre les personnes malades mentales. »
Dans ces cas, la peur de la stigmatisation peut mettre la vie en danger. « Nous avons eu plusieurs cas où nous n’étions pas autorisés à apporter une aide ou à dispenser des soins, et un patient finissait
par se suicider », explique le docteur Negay. « En ce qui me concerne, en ma qualité de spécialiste et comme l’un des responsables du service de santé mentale à l’époque, ce fut la révélation
de l’énorme problème auquel nous étions confrontés, et une tragédie. Nous avons décidé qu’il était absolument crucial de commencer à travailler sur la déstigmatisation.
L’amélioration de la santé mentale et la lutte contre la stigmatisation sont devenues ma vocation. »
Changer les attitudes et sensibiliser
Avec le soutien technique de l’UNICEF, la déstigmatisation est devenue l’une des plus grandes composantes du programme de prévention du suicide. Au début du projet en 2015, plus de 11 % des patients présentant un
risque élevé de suicide refusaient toute aide professionnelle. Un an plus tard, ce chiffre était passé à 5 % ; en 2017, il n’était plus que de 1 %.
En même temps, 2017 a vu l’avènement de plusieurs nouvelles initiatives visant à améliorer les services de santé mentale au Kazakhstan.
- Les services psychiatriques ont été transformés en services de santé mentale, et les services de santé mentale ont aussi été intégrés dans les soins de santé primaires. Cela a permis aux populations d’accéder à l’ensemble des services en un seul endroit.
- Le pays a introduit une nouvelle législation sur la santé mentale, notamment un nouveau code national de la santé. Ce dernier garantit aux personnes la conservation de leur droit légal de prendre leurs propres décisions, un droit qu’elles pouvaient simplement perdre parce qu’elles vivent avec un problème de santé mentale. Rien qu’en 2021, 18 patients ont retrouvé leur autonomie juridique.
- Des programmes ont été mis en place pour réduire l’auto-stigmatisation et la stigmatisation des patients et de leurs proches.
- De nouvelles activités (souvent en dehors du cadre du système de santé) ont vu le jour, comme la création de maisons protégées, des lieux où une personne atteinte de troubles mentaux peut recevoir une éducation juridique, une formation professionnelle et une aide à la réadaptation à la société.
L’évaluation de ces mesures constitue un défi complexe
« Les résultats visibles de ces activités ne seront visibles qu’à l’avenir », explique le docteur Negay. « Nous ne sommes pas encore au bout de nos efforts au Kazakhstan, mais je pense que nous avons
déjà parcouru un long chemin. Dans le cadre de la Coalition paneuropéenne de l’OMS pour la santé mentale, nous avons institué un groupe de travail actif qui transcende tous les niveaux d’activités
dans les domaines de l’amélioration de la santé mentale et de la diminution de la stigmatisation et de la discrimination. Cela représente un grand pas en avant. »
Le docteur Negay mentionne le cas de 2 utilisateurs de services qui vivaient dans un établissement fermé, protégé et sous tutelle, et avaient perdu leur autonomie juridique. Grâce à une prise en charge complète,
et à la prestation de soins adéquats, tous deux ont été rétablis dans leurs droits et ont été réintégrés dans la société.
« Ce fut un succès majeur. Ainsi a-t-on pu montrer qu’une personne jugée inapte aux yeux de la société peut être aidée et soignée », explique le docteur Negay. « L’une de ces
2 personnes occupe désormais un emploi de serveur, et l’autre travaille dans un magasin d’informatique. Elles ont toutes deux quitté l’établissement fermé où elles vivaient auparavant ; elles ont
leur propre maison et leur propre vie, et pour moi, c’est tout simplement un exploit que je n’oublierai jamais, prouvant que c’est possible. »
Le Programme de travail européen de l’OMS 2020-2025 met fortement l’accent sur la santé mentale par l’intermédiaire de la Coalition paneuropéenne pour la santé mentale, un réseau de personnes
et d’organisations, notamment de personnes atteintes de troubles de la santé mentale, d’organisations non gouvernementales, de représentants des pouvoirs publics et d’universitaires. L’un des domaines prioritaires
de la Coalition, dont est d’ailleurs membre le docteur Negay, est d’œuvrer au renforcement des efforts de déstigmatisation dans la Région européenne de l’OMS.
La Journée mondiale de la santé mentale, qui a lieu chaque année le 10 octobre, est célébrée dans le monde entier, et vise à sensibiliser le public au droit de chacun à la santé mentale et
au bien-être.