WHO/Viktor Koshkin
Two men playing cards accompanied by a third man during Christmas break in an assisted living facility, Estonia 2021
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Changer les esprits, transformer les services : comment l’Estonie utilise un outil de l’OMS pour lutter contre la stigmatisation et promouvoir les droits humains dans les services de santé mentale

10 octobre 2022
Communiqué de presse
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La stigmatisation bien ancrée ainsi qu’une mentalité figée sur la façon dont les personnes atteintes de troubles mentaux doivent être traitées sont deux des plus grands obstacles à la réforme de la santé mentale dans la Région européenne de l’OMS. Or, aujourd’hui, de plus en plus de pays constatent des changements au niveau local qui transforment la manière dont le soutien en matière de santé mentale est fourni aux bénéficiaires et reçu par ces derniers.

L’Estonie est justement l’un de ces pays. Depuis 2020, l’Estonie utilise le module d’outils QualityRights de l’OMS pour transformer ses services de santé mentale et d’aide sociale. À ce jour, l’Office national estonien de l’assurance sociale a évalué plus de 30 services et établissements, allant des résidences services aux maisons de soins accueillant des personnes souffrant de graves handicaps psychosociaux et intellectuels.

« Lorsque nous parlons de transformer les services, nous parlons de transformer les relations », explique Cláudia Braga, formatrice QualityRights à l’OMS, qui a plus de 10 ans d’expérience dans la transformation des services dans son pays, le Brésil. « On doit considérer les personnes atteintes d’un handicap psychosocial comme des citoyens, et promouvoir des services fondés sur leur droit à la liberté. »

Cláudia Braga est l’un des 3 agents de formation qui se sont rendus à Tallinn en septembre afin que les experts estoniens puissent acquérir les dernières connaissances sur QualityRights, une série d’outils mis au point par l’OMS en vue d’évaluer et d’améliorer la qualité des soins dans les établissements de santé mentale et d’aide sociale.

Les évaluations visent à déterminer si ces établissements promeuvent de manière adéquate le rétablissement des personnes atteintes de troubles mentaux, tout en protégeant leurs droits humains fondamentaux, comme celui de prendre des décisions concernant leur propre vie, d’avoir un emploi, de se marier et de fonder une famille, ces droits étant d’ailleurs trop souvent violés en raison de la stigmatisation.

Selon Cärolyn-Angelika Liblik, coordinatrice de services à l’Office national estonien de l’assurance sociale, les soins de santé mentale et l’aide sociale ont historiquement été dispensés selon le principe « loin des yeux, loin du cœur ». Les personnes souffrant de troubles mentaux ont en effet tendance à être placées dans des institutions souvent séparées de la communauté, où elles passent toute leur vie et tombent dans l’oubli.

Grâce à des entretiens, des examens de documents et des observations, les formateurs déterminent généralement dans quelle mesure ces établissements garantissent aux usagers des services un bon niveau de vie ainsi que des soins de santé physique et mentale de qualité, tout en leur permettant de prendre des décisions concernant leurs soins et de vivre de manière autonome.

Les formateurs vérifient également si les usagers des services ne subissent ni violence, ni torture, ni sévices (y compris l’isolement et la contention), des comportements qui tous violent la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée en Estonie en 2012. Ils formulent ensuite des recommandations sur la manière dont les établissements peuvent améliorer la situation des usagers des services.

Dispenser des soins de santé mentale tout en protégeant les droits humains

En Estonie, comme dans de nombreux pays de la Région européenne, les établissements de soins de longue durée restent la principale forme de prise en charge des personnes présentant un handicap intellectuel et psychosocial.

En 2018, l’OMS a procédé à l’évaluation de 75 de ces établissements dans 25 pays, dont l’Estonie, et a constaté qu’ils étaient « très en dessous de la norme ». Les droits des personnes séjournant dans ces établissements étaient souvent violés. Par exemple, le personnel n’informait pas les patients des raisons pour lesquelles on leur administrait tel ou tel traitement, et les retenait même physiquement pour leur administrer des médicaments.

Ces épisodes se produisent souvent lorsqu’un patient traverse une crise de santé mentale, mais ils peuvent également survenir lorsque le personnel applique une solution générale (comme le fait de verrouiller toutes les portes la nuit) à un cas spécifique (un patient qui peut vouloir s’échapper pendant une crise de santé mentale).

« Mais les patients ne sont pas toujours en crise », explique Simon Vasseur-Bacle, psychologue clinicien et formateur QualityRights au Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale de Lille (France). Il conseille au personnel de réfléchir de manière créative à la façon d’appliquer des solutions particulières dans des cas particuliers, tout en permettant aux usagers des services eux-mêmes, ainsi que leur famille et d’autres professionnels, de pouvoir choisir, tant pendant une crise que dans la vie normale.

Faire de la santé mentale une question personnelle et non une maladie

L’un des problèmes est que le personnel de ces établissements peut considérer les évaluateurs tels que Cärolyn-Angelika Liblik comme une présence intrusive, susceptible d’alourdir la charge de travail dans un environnement déjà en manque d’effectifs. Lors de leur atelier de formation QualityRights en Estonie, Simon Vasseur-Bacle et Cláudia Braga ont toutefois souligné que la transformation des services ne consiste pas à créer du travail supplémentaire, mais à utiliser de manière créative les ressources existantes (humaines et autres) afin que les services soient axés sur la personne et non sur la maladie.

Ils pensent également que, dans la plupart des cas, le personnel est plus que disposé à modifier ses pratiques lorsqu’on lui en donne la possibilité. « Je sais par expérience qu’on veut tous transformer les services », explique Cláudia Braga. « On veut travailler dans un service de qualité. On veut tous rentrer chez nous et dire à tout le monde que ce jour-là, nous avons pu aider un patient, par exemple, à se rendre dans un supermarché pour acheter des pâtes. Lorsque nous utilisons le module d’outils QualityRights, nous sommes en mesure de motiver les gens à penser à cela. »

Dans de nombreux cas, ce changement de mentalité est suscité par le processus d’évaluation lui-même, si ce n’est par les nombreuses visites de suivi qui aident les services à appliquer les recommandations qu’ils formulent.

En fin de compte, Cärolyn-Angelika Liblik espère que les prestataires de services comprennent qu’elle et son équipe sont là pour améliorer la vie des usagers de services. « Je ne serais pas ici et ne travaillerais pas à l’Office d’assurance sociale si je ne voulais pas changer le monde », dit-elle.

Bien que l’Office national estonien de l’assurance sociale ait été jusqu’à présent la seule institution à réaliser les évaluations QualityRights en Estonie, il espère que cela va changer. Si l’office a demandé à l’OMS d’organiser la formation à Tallinn en septembre, c’est en partie pour inviter d’autres à se joindre à leurs évaluations, notamment des membres de la famille des usagers de services et des prestataires de services eux-mêmes.

De nombreux participants se sont engagés à améliorer leur connaissance du module d’outils et à participer à des évaluations à l’avenir. « Ces 2 jours m’ont permis d’ouvrir les yeux », a déclaré un participant. « Je suis convaincu que le changement et le développement sont possibles. Je suis très curieux de voir comment cela va se développer en Estonie. »