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Des experts de la santé mentale et du soutien psychosocial se sont rencontrés à Copenhague (Danemark) en septembre 2022 pour débattre sur les enseignements acquis et la marche à suivre pour l’avenir.
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« Être capable d’écouter, s’intéresser vraiment à ce que les autres disent » – des experts en santé mentale évoquent leur travail dans les pays accueillant des réfugiés

20 avril 2023
Communiqué de presse
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« Une situation d’urgence vous fait oublier tout ce qu’on vous a appris sur la manière dont les soins de santé sont dispensés », déclare Rut Erdelyiova, une consultante en santé mentale et en soutien psychosocial (SMSPS) travaillant en Slovaquie. « Ce n’est plus cet environnement stérile dans lequel vous savez ce que vous devez faire. Il faut aller voir des gens qui viennent de vivre quelque chose qui a complètement bouleversé leur réalité, en essayant de comprendre ce qu’ils ressentent et ce que nous pouvons faire pour eux dans cette situation. » 

Rut fait partie d’une petite équipe motivée d’experts de l’OMS/Europe qui, depuis le début de la guerre en Ukraine, consacre la majeure partie de son temps à la coordination des activités de SMSPS, qui sont essentielles pour atténuer les souffrances et prévenir les effets à long terme sur la santé mentale, tels que le syndrome de stress post-traumatique. 

« Nous travaillons bien entendu avec de nombreux secteurs, en particulier la protection de l’enfance, la violence sexiste et la santé », explique Selma Sevkli, une psychologue déployée en Pologne quelques jours après le début de la guerre. « Nous nous occupons également de la sensibilisation, de l’éducation et du plaidoyer pour ces secteurs, en les aidant à comprendre que la santé mentale ne se limite pas à des consultations psychologiques, mais qu’elle aide aussi les gens à répondre à leurs besoins fondamentaux. »

L’OMS/Europe a déployé de nombreux experts de ce type dans les pays qui accueillent un grand nombre de réfugiés ukrainiens afin de coordonner les services de SMSPS, en collaboration avec les gouvernements hôtes, les organisations humanitaires et surtout les réfugiés eux-mêmes. 

Leurs efforts constants ont permis à de nombreux réfugiés d’obtenir les services dont ils ont besoin.

Pourquoi ils font ce qu’ils font

Les experts de l’OMS/Europe en matière de SMSPS sont des psychiatres, des psychologues ou des travailleurs humanitaires, dont certains ont déjà vécu des situations d’urgence.

« En fait, j’ai commencé au début des années 1990, pendant la guerre [en ex-Yougoslavie] », explique Boris Budošan, qui apporte son aide en Tchéquie. « J’étais un médecin ordinaire, ce n’était pas mon intention, mais c’était mon destin. Je continue toujours parce qu’après tout ce temps, j’estime avoir la responsabilité de communiquer mes connaissances et mon expérience. »

Joanna Brzezinska, qui apporte son aide en Pologne, s’est portée volontaire en tant que psychologue lorsque la guerre a éclaté, mais s’est aperçue qu’elle devait porter secours à une échelle bien plus grande. « Je me suis rendu compte que je suis impatiente ; je ne peux pas me contenter d’assurer des consultations pour 1 seule personne alors que l’urgence est généralisée. »

« Cela devient un besoin irrépressible », explique Selma, qui a commencé à travailler dans ce domaine après avoir survécu à un tremblement de terre en Türkiye, alors qu’elle n’avait que 18 ans. « Ce qui continue à me motiver ? C’est quand je vois les effets obtenus. Comme l’année dernière, quand les ministères de la Santé d’Ukraine et de Pologne ont collaboré afin de garantir l’accès à des psychotropes pour les réfugiés qui en ont besoin. »

Sorana Mocanu, une psychothérapeute de Roumanie, a besoin de cette connexion avec les personnes qu’elle aide. « J’essaie de rester en contact avec nos centres de soins intégrés », dit-elle. « C’est là qu’on peut revenir à la réalité. L’essentiel, ce n’est pas toutes les personnes reprises sur votre feuille de calcul – c’est qu’un garçon peut maintenant aller chez un psychologue et que sa mère peut arrêter de pleurer et avoir un moment pour elle-même. »

Ceci vaut aussi pour Murat Apaydin, l’un des coordinateurs de l’équipe.

« J’aime travailler dans le domaine de la SMSPS, parce que chaque personne a sa propre histoire et ses forces et vulnérabilités, et qu’elle est pleine d’idées intéressantes », explique Murat. « Cela me motive dans mon travail de rencontrer toutes ces nouvelles personnes. »

Faire attention à soi

Malgré tout, le bilan émotionnel et physique de la crise des réfugiés ukrainiens a été lourd pour l’équipe.

« C’est la première fois que je l’ai compris », dit Rut. « Ce que c’est de tenir la main de quelqu’un qui vient d’apprendre qu’elle a perdu un être cher, de parler à une mère qui sait qu’elle ne reverra pas son fils aîné. »

L’auto-prise en charge est donc indispensable. Maura Reap, une psychologue qui apporte son aide en République de Moldova, fait de l’art pendant son temps libre. « Pendant les rares heures dont je dispose entre mon temps de sommeil et le travail, j’aime faire de l’art. Je n’ai pas vraiment de talent, mais j’aime le faire parce que cela m’aide à décompresser après la journée. »

Cet amour de l’art trouve un prolongement dans son travail – en janvier, elle s’est associée à l’Organisation internationale pour les migrations afin de former des psychologues et des agents de santé de première ligne au recours à l’art pour aider les réfugiés à s’exprimer.

Pour Andrea Paiaito, qui apporte son aide à la Bulgarie, la gestion du stress passe par une capacité à prendre du recul. « Lorsque les travailleurs humanitaires parviennent à comprendre et à accepter leurs propres limites, ils se libèrent d’une grande partie de leur stress. » Il admet qu’il a lui-même mis des années à le comprendre.

Olga Khan, qui apporte son aide à la Pologne aux côtés de Joanna, fait remarquer que même si l’on sait comment prendre soin de soi, il peut être difficile de le faire, d’autant plus que la mentalité des travailleurs humanitaires valorise souvent une boulimie de travail. « Personne ne se préoccupe de votre burn-out. L’intervention passe avant toute autre chose. »

Elle est donc reconnaissante de la présence de sa collègue Joanna. « L’avoir ici avec moi, c’est 200 % de bonheur. » 

Quelles sont les qualités d’un bon expert en matière de SMSPS ?

« Vous devez être vrai », déclare Boris. « Vous devez être comme vous êtes. Si vous faites semblant, les gens le remarqueront immédiatement. » 

« Il faut non seulement être un expert en matière de SMSPS, mais aussi avoir une personnalité assez sympathique, un sens de la diplomatie ou des qualités de meneur », complète Andrea. En effet, l’une des facettes essentielles du travail de SMSPS est la participation des communautés touchées, qu’il faut susciter par exemple pour la planification et l’obtention d’un accès aux services dont elles ont besoin.

« Être capable d’écouter, avoir un intérêt réel pour ce que disent les autres – c’est vraiment fondamental », déclare Maura. « Si nous n’avons pas cette capacité à écouter... On peut lire tous les livres du monde, mais si on n’écoute pas, on ne sera pas efficace. »

Murat pense aussi que les compétences organisationnelles sont importantes. « Je suis en contact avec 8 ou 9 pays, parfois quotidiennement, et je reçois énormément de nouvelles sur les ministères, les ONG et les personnes elles-mêmes. Je reçois donc chaque jour de nombreuses informations qu’il faut traiter. »

Pour Joanna et Olga, tout se résume à l’empathie, à la communication et à la mise en perspective. « Il y a des tas d’experts en psychologie et en santé mentale », explique Joanna. « Mais tout le monde n’a pas la vision et l’intuition stratégique nécessaires. » 

L’avenir des services de SMSPS dans les pays accueillant des réfugiés

La coordination de ce groupe d’experts par l’OMS/Europe a permis l’échange en temps réel d’informations essentielles ainsi qu’un soutien et un apprentissage mutuels. Les experts vont maintenant communiquer leur expérience à plus grande échelle, notamment lors d’une consultation de haut niveau qui se tiendra à Bratislava (Slovaquie) les 18 et 19 avril 2023.

Aujourd’hui, la phase aiguë de la situation d’urgence étant terminée, l’équipe concentre ses efforts sur le renforcement des services de soutien existants pour la santé mentale dans les pays accueillant des réfugiés.