« En ce qui concerne les troubles mentaux chez les secouristes, je serai très directe : ça n’existe pas. On n’en a pas. C’est le problème de nos patients. Nous pensons être au-dessus de ça. Il y a une énorme stigmatisation », déclare Eeva Tuunainen, une urgentiste finlandaise. Elle s’exprime à une table ronde lors de la deuxième réunion de la Coalition paneuropéenne pour la santé mentale, en novembre 2022, à Ankara (Türkiye).
Grâce à des campagnes de sensibilisation et à un service de consultations en ligne, Eeva cherche à éliminer cette stigmatisation, en essayant de faire mieux admettre que les secouristes finlandais puissent s’exprimer sans détours quand ils ont besoin d’aide. « Notre plus grand défi a été de trouver un moyen de modifier la manière dont les secouristes envisagent la demande d’aide », explique-t-elle.
Eeva est présidente de FinnEM, une organisation non gouvernementale représentant les travailleurs des soins aigus de Finlande, et qui inclut plus de 1 000 médecins, infirmiers et autres membres du personnel des urgences. Cela fait plus de 14 ans qu’elle travaille dans les services d’urgence, et qu’elle constate de visu à quel point la stigmatisation qui entoure la santé mentale est omniprésente.
« En tant que professionnels de santé qui travaillons en première ligne, nous aimons penser que nous avons des capacités surhumaines », dit Eeva. « En Finlande, ce qui nous fait défaut, c’est de savoir comment prendre soin de nous-mêmes dans le cadre du travail, ce qui, bien évidemment, a une influence sur le traitement des patients. »
Elle explique que, vu la nature du travail, beaucoup de professionnels des soins aigus doivent, pour pouvoir exécuter leurs tâches, se distancer émotionnellement des patients qu’ils soignent. « Dans une certaine mesure, nous devons le faire, parce qu’on ne peut pas pleurer après chaque cas », observe-t-elle. « Mais on ne peut pas non plus exclure complètement son moi. Ce n’est pas naturel, et on ne peut pas correctement entourer les familles et gérer leurs émotions. »
Eeva a constaté que quand les professionnels des soins aigus n’ont pas d’exutoire pour exprimer ces sentiments ou même y réfléchir, le cynisme peut progressivement les gagner. Cela peut non seulement influencer négativement l’environnement de travail, comme elle l’a fait remarquer, mais aussi être « un très mauvais exemple à donner aux étudiants en médecine qui vous suivent ».
Sensibilisation et consultations
Dans son rapport « Health and care workforce in Europe: time to act » [Personnels de santé et d’aide à la personne en Europe : il est temps d’agir], publié en 2022, l’OMS/Europe a relevé plusieurs obstacles auxquels les personnels de santé et d’aide à la personne sont confrontés, dans toute la Région européenne de l’OMS. Outre les pénuries de ces personnels face à une demande en hausse, ces obstacles comprennent un recrutement insuffisant dans des spécialisations essentielles, comme les soins primaires, et la difficulté de maintenir en poste les travailleurs, notamment à cause d’un niveau élevé de stress et de lassitude depuis la COVID-19, entre autres facteurs.
Effectivement, quand la pandémie de COVID-19 s’est déclarée, Eeva s’est rendu compte qu’il fallait faire quelque chose. Rapidement. « Nous croulions tous sous le travail, nous croulions chaque jour sous les nouvelles informations et les nouvelles instructions, et, bien entendu, nous étions submergés par l’anxiété des patients et de leurs proches, comme par l’anxiété de notre propre entourage et de notre famille. »
FinnEM a commencé par recruter des professionnels de la santé mentale et de l’aide sociale et lancer un service gratuit de consultations en ligne, FinnHELP, soutenu par les fonds de donateurs et du gouvernement. Les professionnels des soins aigus peuvent bénéficier de 5 consultations au maximum, assurées grâce à un logiciel sécurisé de vidéoconférence. Les utilisateurs sont libres de parler de tout sujet qui les préoccupe, qu’il s’agisse de problèmes avec certains patients, dans leur vie personnelle ou sur leur lieu de travail.
Ce service reçoit l’appui de campagnes de sensibilisation ciblant spécifiquement les professionnels des soins aigus, pour déstigmatiser les demandes d’aide en matière de santé mentale.
« Nous avons fait campagne depuis le 1er jour », déclare Eeva. L’une des campagnes les plus marquantes mettait en scène des professionnels des soins aigus qui avaient bénéficié de ce service. « Nous avons fait parler ces personnes, nous avons montré leur visage, leur charge de travail, leur milieu professionnel. »
Eeva ajoute : « Je crois sincèrement que ça compte : d’en parler, de mettre des mots et un visage sur le problème, de montrer aux gens que nous sommes comme tout le monde. »
Soutenir la santé mentale
L’OMS/Europe reconnaît qu’il est de plus en plus urgent de soutenir le personnel de santé, notamment en protégeant sa santé mentale et son bien-être. Les 22 et 23 mars 2023, l’OMS/Europe et le gouvernement roumain organisent une réunion régionale de haut niveau à Bucarest pour convenir d’une série de mesures visant à protéger et à soutenir les personnels de santé et d’aide à la personne, et à investir dans ces personnels.
Soutenir la santé mentale et le bien-être sur le lieu de travail, surtout ceux des travailleurs de la santé, constitue également un domaine de collaboration majeur pour la Coalition paneuropéenne pour la santé mentale, dans le cadre des efforts consentis pour promouvoir la couverture sanitaire universelle et préserver la santé mentale tout au long de la vie.
Eeva continue de parler de l’importance de prendre soin de la santé mentale des professionnels de santé, ce qu’elle considère également comme une question de sécurité pour les patients. Elle a rejoint la table ronde de la réunion de la Coalition paneuropéenne pour la santé mentale, en Türkiye, pour apprendre comment mieux intégrer l’encadrement de la santé mentale dans le milieu de travail. « Nous voulons vraiment inclure les connaissances en matière de santé mentale dans notre travail, nos campagnes, nos formations et nos événements. »