La résistance aux antimicrobiens constitue une menace au niveau mondial. Si aucune mesure efficace n’est prise, des décennies de progrès médicaux risquent d’être anéanties. La résistance aux antimicrobiens survient lorsque des micro-organismes, tels que des bactéries, des virus, des champignons et des parasites, ne réagissent plus aux médicaments antimicrobiens. Les infections deviennent alors plus difficiles à soigner et les maladies se propagent. Face à cette grave menace pour la santé mondiale, il convient d’explorer toutes les possibilités de promouvoir des approches plus efficaces.
L’observation des aspects comportementaux et culturels offre une approche innovante, fondée sur des données probantes et centrée sur la personne, qui permet de redéfinir la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Les ministres de la Santé et les délégués des 53 États membres européens de l’OMS ont récemment approuvé une nouvelle feuille de route sur la résistance aux antimicrobiens pour la Région européenne de l’OMS, qui reconnaît les connaissances comportementales et culturelles comme une « intervention à fort impact » à intégrer dans les efforts plus importants de lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Un outil insuffisamment utilisé
L’observation des aspects comportementaux et culturels fait appel à des méthodes issues des sciences sociales et comportementales afin de cartographier systématiquement les facteurs individuels et contextuels qui influencent les comportements de santé. Différents facteurs ont en effet une incidence sur les comportements contribuant à la résistance aux antimicrobiens : les procédures opérationnelles normalisées des hôpitaux, les normes sociales chez les médecins, la crainte de recourir à de mauvaises pratiques, les habitudes liées à la prescription d’antibiotiques par les médecins, ainsi que la disponibilité des tests de diagnostic. L’étude de ces comportements ouvre la voie à des interventions adaptées et plus efficaces qui, à leur tour, améliorent les comportements et les résultats en matière de santé.
« L’observation des aspects comportementaux et culturels peut changer la donne dans la lutte contre les menaces sanitaires mondiales comme la résistance aux antimicrobiens », explique Robb Butler, directeur de la division Maladies transmissibles, et environnement et santé à l’OMS/Europe. « Il est grand temps d’intensifier l’utilisation de cet outil et d’aider les autorités de santé publique à intégrer efficacement l’observation des aspects comportementaux et culturels dans les systèmes de santé. »
L’observation des aspects comportementaux et culturels en pratique
Il existe des données probantes, des cadres théoriques et des méthodes pratiques pour aider les autorités de santé publique à adopter une approche axée sur l’observation des aspects comportementaux et culturels en vue d’élaborer et de mettre en œuvre des interventions visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens. L’OMS/Europe a mis au point des Programmes adaptés sur la résistance aux antimicrobiens ainsi que des Programmes de santé adaptés, d’application plus large, en tant qu’outils méthodiques pour aider les autorités sanitaires à utiliser les connaissances comportementales et culturelles, depuis la définition du problème jusqu’à la conception et l’évaluation de l’intervention.
Ces guides se sont avérés essentiels, par exemple, pour comprendre le rôle des comportements des personnels de santé dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Les études menées entre 2020 et 2023 par l’OMS/Europe dans le domaine des vaccins systématiques et contre la COVID-19 mettent en avant l’importance et la complexité des comportements des personnels de santé et de leurs facteurs sous-jacents.
Un large éventail de projets pilotes axés sur l’observation des aspects comportementaux et culturels ont déjà été réalisés ou sont en cours de réalisation en vue de lutter contre la résistance aux antimicrobiens, notamment en Suède sur l’orientation sociale, au Royaume-Uni sur la modification des comportements en matière de prescription d’antibiotiques, en Hongrie sur la prescription d’antibiotiques en pédiatrie, au Kazakhstan sur le comportement des pharmaciens concernant la vente libre d’antibiotiques, et en Géorgie sur un programme de gérance des antimicrobiens chirurgicaux dans les hôpitaux.
Plusieurs modèles peuvent être utilisés pour étudier les comportements des personnels de santé, notamment le modèle dit COM-B, qui met en évidence 4 facteurs clés à prendre en compte pour la mise en œuvre et l’évaluation des interventions liées à la résistance aux antimicrobiens :
- les capacités, qui font référence à l’aptitude des personnels de santé à sélectionner, doser et surveiller les antibiotiques de manière efficace et responsable (connaissances, compétences, jugement professionnel, formation, etc.) ;
- la motivation, qui intègre la confiance des personnels de santé en leurs capacités et la conscience des conséquences de leurs décisions, ainsi que les réactions émotionnelles (par exemple, la peur, les habitudes, les réactions aux pressions situationnelles) ;
- les possibilités d’ordre social, qui sont liées à la dynamique interpersonnelle et de groupe, ainsi qu’aux structures organisationnelles (par exemple, les normes et valeurs des pairs, l’interaction avec la direction) ;
- les possibilités d’ordre physique, qui font référence aux facteurs tangibles et environnementaux influençant les comportements en matière de prescription (par exemple, l’accès facile à l’équipement nécessaire, les protocoles et les lignes directrices facilement disponibles).
Appliquer les connaissances comportementales et culturelles pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans les hôpitaux ukrainiens
À l’heure actuelle, ces connaissances jouent un rôle essentiel dans la réalisation d’une analyse de situation dans 3 hôpitaux ukrainiens, l’objectif étant de faire face à l’augmentation des infections résistantes (en particulier chez les personnes souffrant de traumatismes occasionnés par la guerre) et de répondre au besoin à plus long terme de réduire la résistance aux antimicrobiens par la prescription et l’utilisation appropriées des antibiotiques.
« La résistance aux antimicrobiens est un problème dans notre établissement [...] Pendant longtemps, des antimicrobiens ont été prescrits de manière incontrôlée sans indications directes et sans confirmation par des tests bactériologiques », explique Nataliia Balaniuk, cheffe du service de lutte anti-infectieuse à l’Hôpital municipal de Khmelnytskyi. « Les sciences comportementales peuvent montrer comment changer le comportement du personnel en général vis-à-vis de la lutte anti-infectieuse, et en particulier vis-à-vis de la résistance aux antimicrobiens. »
Les données et les éléments de preuve issus de l’observation des aspects comportementaux et culturels sont essentiels pour lutter contre les infections et réduire l’utilisation inappropriée des antibiotiques en Ukraine, dans le but de générer des connaissances susceptibles d’être appliquées à l’échelle nationale.
Il est évident que la lutte contre la résistance aux antimicrobiens est complexe et qu’elle nécessite l’engagement de tous. Après la Semaine mondiale d’informations sur la résistance aux antimicrobiens, nous pouvons nous engager à mettre fin à cette pandémie silencieuse par l’application des connaissances comportementales et culturelles.