Excellences, chers invités, chers collègues et amis,
Merci pour cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Et merci tout particulièrement à mon ami l’Ambassadeur Ischinger.
J’étais hier à Kinshasa, en République démocratique du Congo, où j’ai rencontré le Président et d’autres ministres de haut rang afin d’évoquer les progrès accomplis contre l’épidémie de maladie à virus Ebola et d’élaborer ensemble un plan pour renforcer le système de santé national de sorte que ce pays ne soit plus jamais confronté à une telle épidémie.
Je voudrais remercier le Président pour son leadership et pour la vision qu’il porte : celle d’une RDC où les gens vivent en meilleure santé et plus en sécurité.
Nous entrevoyons enfin la possibilité de venir à bout de cette épidémie, après plus de 18 mois et 2249 vies emportées. Sur la semaine écoulée, il y a eu 1 seul cas d’Ebola, contre 120 cas par semaine au cours du pic d’avril.
Cette épidémie contraste très fortement avec la précédente flambée survenue en 2018 dans l’ouest de la RDC, une zone relativement stable et pacifique. À peine trois mois avaient été nécessaires pour la maîtriser.
Nous voyons là ce que l’histoire l’a déjà montré : la maladie et l’insécurité sont des amies inséparables.
Ce n’est pas un hasard si la pandémie de grippe de 1918 a éclaté à la fin de la Première Guerre mondiale, tuant plus de personnes encore que le conflit lui-même.
Ce n’est pas un hasard si le dernier obstacle à l’éradication de la poliomyélite se trouve dans les régions les plus dangereuses du Pakistan et de l’Afghanistan.
Ce n’est pas un hasard si le virus Ebola s’est propagé dans la région la plus dangereuse de la RDC.
Sans la paix, la santé est bien souvent un rêve inaccessible.
Mais l’inverse peut être vrai aussi : les épidémies peuvent entraîner une grave situation d’instabilité et d’insécurité politique, économique et sociale.
La sécurité sanitaire ne concerne donc pas seulement le secteur de la santé. C’est l’affaire de tous.
Il y a trois principaux scénarios dans lesquels une intervention coordonnée des secteurs de la santé et de la sécurité est essentielle.
Premièrement, une épidémie à fort impact lors d’un conflit ou dans une contexte d’insécurité, comme la maladie à virus Ebola. Ces dernières années, 80 % des épidémies ayant nécessité une intervention internationale sont survenues dans des pays fragiles, en conflit ou en situation d’insécurité.
Deuxièmement, l’émergence d’un agent pathogène à potentiel pandémique se propageant rapidement de pays en pays et nécessitant une intervention immédiate de grande ampleur au niveau national.
Et troisièmement, la dissémination volontaire ou accidentelle d’agents biologiques – un événement heureusement rare auquel il faut néanmoins nous préparer.
L’épidémie de COVID-19 qui sévit aujourd’hui correspond au deuxième scénario.
Même si une urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée, 99 % des cas sont survenus en Chine – c’est une urgence qui, aujourd’hui encore, touche avant tout ce pays. Dans le reste du monde, on dénombre seulement 505 cas, contre plus de 66 000 en Chine.
Soyons clairs : il est impossible de prédire l’évolution de cette épidémie.
Ce que je peux vous dire, c’est ce qui nous encourage et ce qui nous inquiète.
Nous sommes encouragés de voir que les mesures prises par la Chine pour endiguer la flambée à sa source semblent avoir permis au monde de gagner du temps, même si elles ont beaucoup coûté à la Chine. Cette action ralentit la propagation au reste de la planète.
Nous sommes encouragés de voir qu’à l’extérieur de la Chine, aucune transmission communautaire étendue n’a encore été constatée.
Nous sommes encouragés de voir que la communauté mondiale de la recherche s’est unie pour déterminer les besoins les plus urgents de la recherche sur les produits de diagnostic, les traitements et les vaccins et accélérer les travaux dans ce domaine.
Nous sommes encouragés d’avoir pu expédier des kits de diagnostic, mais aussi des masques, des gants, des tabliers et d’autres équipements de protection individuelle, à certains des pays qui en ont le plus besoin.
Nous sommes encouragés de savoir qu’une équipe internationale d’experts est maintenant sur le terrain en Chine, où elle travaille en étroite collaboration avec ses homologues chinois pour comprendre l’épidémie et déterminer les prochaines étapes de l’action internationale.
Mais nous sommes aussi inquiets.
Nous sommes inquiets de l’augmentation continue du nombre de cas en Chine.
Nous sommes inquiets des informations données hier par la Chine concernant le nombre d’agents de santé qui ont été infectés ou sont décédés.
Nous sommes inquiets du manque d’empressement de la communauté internationale à financer la riposte.
Nous sommes inquiets des graves perturbations observées sur le marché des équipements de protection individuelle, qui mettent en danger les agents de santé de première ligne et les soignants.
Nous sommes inquiets de l’ampleur prise par les rumeurs et la désinformation, qui compromettent l’intervention.
Mais ce qui nous inquiète le plus, ce sont les ravages que ce virus pourrait faire dans les pays aux systèmes de santé les plus fragiles.
Les épidémies de maladie à virus Ebola et de COVID-19 soulignent une nouvelle fois que tous les pays doivent absolument investir dans la préparation et ne surtout pas céder à la panique.
Il y a deux ans, l’OMS et la Banque mondiale ont fondé le Conseil mondial de suivi de la préparation, un organisme indépendant chargé d’évaluer l’état de préparation mondial à une pandémie. Ma sœur Gro Brundtland, qui en est la coprésidente, est ici aujourd’hui.
L’an dernier, le Conseil mondial a publié son premier rapport, dont la conclusion est que le monde reste mal préparé.
Depuis trop longtemps, le monde fonctionne selon un cycle faisant alterner panique et désintérêt. Nous dépensons quand une flambée éclate, et une fois celle-ci terminée, nous oublions ce qui s’est passé et ne faisons plus rien pour prévenir la suivante.
Le monde consacre des milliards de dollars pour se préparer à une attaque terroriste, mais relativement peu d’argent pour se préparer à une attaque virale, qui peut s’avérer bien plus meurtrière et faire des dégâts bien plus grands sur les plans économique, politique et social.
Cela est franchement difficile à comprendre et témoigne d’un dangereux manque de clairvoyance.
J’ai aujourd’hui trois demandes à faire à la communauté internationale.
Premièrement, nous devons saisir l’occasion qui nous est donnée d’intensifier notre préparation.
La Chine a permis au monde de gagner du temps. Mais nous sommes incapables de mesurer cette avance.
Tous les pays doivent se préparer à l’arrivée de cas, à traiter les patients avec dignité et compassion, à empêcher la poursuite de la transmission et à protéger les agents de santé.
L’OMS collabore avec les fabricants et les distributeurs d’équipements de protection personnelle afin d’approvisionner de façon fiable les agents de santé avec les outils dont ils ont besoin pour faire leur travail efficacement et en toute sécurité.
Mais nous ne combattons pas seulement une épidémie ; nous luttons aussi contre une infodémie.
Les informations fausses se propagent plus vite et plus facilement que ce virus, et elles sont tout aussi dangereuses.
C’est pourquoi nous travaillons aussi avec des entreprises du secteur des moteurs de recherche et des médias sociaux, comme Facebook, Google, Pinterest, Tencent, Twitter, TikTok, YouTube, et d’autres encore, dans le but d’enrayer la propagation des rumeurs et des informations mensongères.
Nous appelons l’ensemble des gouvernements, des entreprises et des organes de presse à nous aider à tirer la sonnette d’alarme sans pour autant alimenter l’hystérie.
Deuxièmement, cette action ne concerne pas seulement les ministres de la santé. Il faut mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics.
Mais ce faisant, il faut être cohérents et se coordonner, en étant guidés par les données factuelles et les priorités de santé publique.
Dans nombre de pays, une branche de l’État a pris des mesures sans consulter le ministère de la santé, ni prendre en compte leur impact.
Aujourd’hui plus que jamais, le moment est venu de laisser les connaissances factuelles et les données scientifiques guider les politiques.
Sinon, nous nous engageons dans une sombre voie qui mène à la division et à la discorde.
Troisièmement, c’est la solidarité, et non la stigmatisation, qui doit nous guider. La solidarité, pas la stigmatisation.
Notre plus grand ennemi n’est pas le virus ; c’est la stigmatisation qui nous divise. Halte à la stigmatisation et à la haine !
[Applaudissements.]
Les félicitations que j’ai adressées à la Chine ont fait couler beaucoup d’encre.
J’ai simplement reconnu ce qui a été accompli, comme je l’ai déjà fait, et comme je continuerai de le faire pour n’importe quel pays qui combat âprement une épidémie, à sa source, afin de protéger son peuple et les peuples du monde, malgré tout ce qui lui en coûte.
Il facile de blâmer. Il est facile de politiser la question. Mais il est bien plus difficile de s’attaquer à un problème ensemble et de trouver des solutions ensemble.
Nous allons tous tirer des leçons de cette épidémie. Mais ce n’est pas le moment des récriminations ni de la politisation.
Un choix nous est offert. Pouvons-nous unir nos efforts face à un dangereux ennemi commun ? Ou allons-nous laisser la peur, la suspicion et l’irrationalité nous distraire et nous diviser ?
Dans le monde fracturé et divisé que nous avons en partage, la santé est un des rares domaines dans lesquels la coopération internationale offre aux pays la possibilité d’œuvrer ensemble pour une cause commune.
Dans une telle période, les faits doivent l’emporter sur la peur.
La rationalité, sur les rumeurs.
La solidarité, sur la stigmatisation.
Je vous remercie.