La rage est l’une des maladies les plus anciennes et les plus terrifiantes connues de l’homme. On trouve des témoignages écrits et picturaux datant de plus de 4000 ans, et cette maladie est aujourd’hui endémique dans plus de 150 pays.(1)
Bien que cette maladie puisse être évitée, d’après les estimations, 59 000 personnes en meurent chaque année,(2) principalement dans les communautés les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète. Environ 40 % des victimes sont des enfants de moins de 15 ans vivant en Asie et en Afrique.
C’est la morsure d’un chien infecté qui est responsable de 99 % des cas de transmission à l’homme, et non l’exposition aux nombreux animaux sauvages qui agissent comme des réservoirs viraux sur différents continents.(3)
Au cours de ces dernières années, de nombreux pays ont renforcé leurs efforts de lutte contre la rage en intensifiant les programmes de vaccination des chiens, en facilitant l’accès aux substances biologiques humaines pour la prophylaxie postexposition et préexposition et en associant les populations locales. La rage humaine d’origine canine a été éliminée d’Europe occidentale, du Canada, des États-Unis et du Japon.
En Amérique latine, 28 pays sur 35 ne signalent aucun décès humain dû à la rage transmise par les chiens.(4) De grands progrès ont été réalisés dans la réduction de la mortalité due à la rage dans des pays comme le Bangladesh, les Philippines, Sri Lanka, la Tanzanie, le Viet Nam et l’Afrique du Sud, pour n’en citer que quelques-uns. Ces expériences ont produit un vaste savoir collectif sur les solutions qui donnent des résultats et ont renforcé à la fois la qualité des données relatives à la rage et l’ensemble d’outils disponibles pour élaborer des programmes de lutte contre la rage, renforcer les capacités, la sensibilisation et la surveillance de cette maladie.
Jusqu’à récemment, la riposte mondiale à la rage était fragmentée et manquait de coordination. Aujourd’hui, pour la première fois, l’OMS, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Alliance mondiale contre la rage (GARC : Global Alliance for Rabies Control) unissent leurs forces pour aider les pays qui cherchent à accélérer leurs interventions destinées à éliminer la rage d’origine canine d’ici à 2030.
À la suite de consultations approfondies avec les pays touchés, nous avons élaboré, et publions aujourd’hui, un plan stratégique mondial destiné à éliminer la rage humaine d’origine canine d’ici à 2030 (Global strategic plan to end human deaths from dog-mediated rabies by 2030).(5)
Ce plan ambitieux en trois phases définit les changements sociétaux nécessaires pour atteindre cet objectif. Il donne la priorité à l’action de manière à cibler le réservoir de la maladie chez les chiens et à aligner la riposte à la rage sur les efforts destinés à renforcer les systèmes de santé.
Le Plan stratégique mondial fixe trois objectifs aux pays touchés, aux partenaires de développement et aux principales parties prenantes :
- utiliser efficacement les vaccins, les médicaments, les outils et les technologies qui stopperont la transmission de la rage canine et réduiront le risque de décès dus à la rage humaine ;
- produire des orientations fondées sur l’expérience et des données de qualité pour mesurer l’impact et éclairer les décisions politiques ; et
- mobiliser l’action multipartite pour maintenir l’engagement et les ressources.
Ce nouveau partenariat, «Tous unis contre la rage», offre une plateforme permettant de mobiliser des ressources et de tirer parti de manière coordonnée des outils et de l’expertise existants. Il s’inscrit pleinement dans la lignée des priorités du protocole d’accord tripartite signé en mai 2018 par l’OMS, la FAO et l’OIE.(6)
Par cet accord, ces trois organisations intensifient leur collaboration pour lutter contre les risques sanitaires critiques à l’interface homme/animal/environnement, des défis qui nécessitent une véritable approche «Un monde, une santé».
À l’appui de la mise en œuvre du Plan stratégique mondial, l’Alliance GAVI a commandé une série d’études nationales pour mieux comprendre les systèmes de distribution et de livraison existants concernant la prophylaxie postexposition. Nous attendons avec impatience la décision du conseil d’administration de l’Alliance GAVI d’ici la fin de l’année sur l’inclusion éventuelle de la rage dans sa prochaine stratégie d’investissement en faveur de la vaccination.
Pour parvenir à notre objectif, à savoir éliminer la rage transmise par les chiens d’ici à 2030, nous devons pérenniser la riposte mondiale à la rage sur les cinq prochaines années. Cela nécessite une stratégie progressive et multidimensionnelle dans tous les pays touchés, fondée sur une étroite coordination entre les secteurs de la santé humaine et vétérinaire et la communauté de pratique élargie.
Il faut associer les populations locales et les agents de santé afin de renforcer la sensibilisation au problème et prévenir l’exposition aux morsures, d’éviter la transmission en gérant les populations canines et en veillant à l’immunité des troupeaux par la vaccination des chiens, et de fournir une prophylaxie postexposition ainsi que des soins aux personnes exposées.
L’élimination de la rage d’origine canine permettra non seulement de sauver 300 000 vies en 5 ans, selon les estimations,(2) et d’améliorer les conditions de vie de millions de personnes, mais elle contribuera également à faire progresser la sécurité sanitaire mondiale. Selon notre analyse, investir dans l’élimination de la rage à l’échelle mondiale permettra de libérer chaque année quelque 8,6 milliards de dollars (US $) de ressources économiques.(5)
La mise en œuvre des dernières orientations de l’OMS sur l’accélération des calendriers de vaccination humaine (administration accélérée des doses et réduction des coûts en cas de préexposition et de postexposition)(7) et des normes internationales de l’OIE pour le diagnostic, la vaccination et la lutte contre la rage chez les animaux(8) améliorera la faisabilité et simplifiera l’exécution des programmes, ce qui permettra aux pays de progresser dans la mise en œuvre du Plan stratégique mondial.
La lutte contre la rage est arrivée à un tournant décisif et nous sommes prêts à nous attaquer résolument à ce fléau. La riposte mondiale devrait être fermement ancrée dans les efforts nationaux visant à élargir la participation des populations locales et du secteur privé et à renforcer les systèmes de santé humaine et animale, en vue de parvenir à la couverture sanitaire universelle pour tous. Les progrès réalisés à l’échelle mondiale dans la lutte contre la rage constitueront un indicateur clé des progrès en direction d’un accès plus équitable aux soins de santé et ouvriront la voie à la mise en œuvre efficace des plans d’action nationaux conformément à l’approche «Un monde, une santé».
Grâce au Plan stratégique mondial destiné à éliminer la rage humaine d’origine canine d’ici à 2030,(5) les pays touchés feront un grand pas en direction de la réalisation de la cible 3 de l’objectif 3 de développement durable (ODD), à savoir «mettre fin à l’épidémie de sida, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies tropicales négligées». Ils feront également des progrès décisifs en direction de la cible 3.8 sur la couverture sanitaire universelle.
Nos organisations continueront d’aider les pays à mettre un terme à la mortalité humaine due à la rage canine et inviteront d’autres pays à rejoindre l’effort historique que représente le partenariat «Tous unis contre la rage».
Ce commentaire a été publié pour la première fois dans The Lancet Global Health.1 World Health Organization. Rabies: key facts. (accessed June 6, 2018).
2 Hampson K, Coudeville L, Lembo T, et al. Estimating the global burden of endemic canine rabies. PLoS Negl Trop Dis 2015; 9: e0003709.
3 World Health Organization. WHO expert consultation on rabies: third report. (accessed June 6, 2018).
4 Vigilato MA, Cosivi O, Knöbl T, Clavijo A, Silva HM. Rabies update for Latin America and the Caribbean. Emerg Infect Dis 2013;19: 678–79.
5 World Health Organization, World Organisation for Animal Health, Food and Agriculture Organization, Global Alliance for Rabies Control. Zero by 30: the Global Strategic Plan to end human deaths from dog-mediated rabies by 2030. (accessed June 18, 2018).
6 World Health Organization. International partnership to address humananimal-environmental health risks gets a boost. (accessed June 6, 2018)
7 World Health Organization. Rabies vaccines: WHO position paper. Wkly Epidemiol Rec 2018; 93: 201–20.
8 World Organisation for Animal Health. Rabies (infection with rabies virus and other lyssaviruses). In: Manual of diagnostic tests and vaccines for terrestrial animals 2018. (accessed June 14, 2018).