La langue anglaise domine la sphère de la santé publique mondiale. C’est une faiblesse qu’on oublie souvent lorsqu’on cherche à atteindre l’objectif de la santé pour tout le monde, partout. L’équité linguistique est une approche visant à remédier à ce monopole afin d’inclure les locuteurs et locutrices d’autres langues.
Mettre en lumière la santé sexuelle et reproductive et les droits connexes dans la traduction et l’interprétation, tel est l’objectif d’une nouvelle initiative lancée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Programme spécial des Nations Unies en reproduction humaine (HRP).
La communication est rarement un processus simple, même lorsque les gens parlent et écrivent la même langue. Imaginez donc ce que peut être la communication d’informations sanitaires claires et précises à l’échelle mondiale.
« Si vous ne prenez pas en compte les autres langues dès le début du processus, vous vous retrouverez avec un produit destiné aux anglophones, même si les mots sont rédigés dans une autre langue », déclare M. Pascal Brice, Chef des Services linguistiques de l’OMS. « Le risque est que le message n’atteigne pas le public cible. Si vous ne pensez pas aux locuteurs et locutrices non anglophones dès le début du processus, cela ne fonctionnera pas. »
Cabine d’interprétation à l’Organisation mondiale de la Santé. © OMS/Violaine Martin
Bien traduire et bien interpréter
Dans le cadre de l’initiative sur le langage dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive et des droits connexes, il a été demandé à des chercheurs et chercheuses, à des scientifiques, à des linguistes (traduction, interprétation et terminologie) ainsi qu’à des entités de la société civile de partager leurs expériences professionnelles liées à la santé sexuelle et reproductive et aux droits connexes dans différentes langues.
Même des mots simples en apparence peuvent avoir des significations complexes. Il suffit de demander aux chercheurs et chercheuses de l’Alliance HRP pour le renforcement des capacités de recherche, qui ont traduit et mis à l’essai un questionnaire rédigé en anglais sur la santé et les pratiques sexuelles (SHAPE) dans 19 langues.
Ce qu’ils ont retenu de cette expérience : le contexte influe sur la compréhension, et communiquer efficacement à des fins de recherche ne signifie pas seulement traduire des mots d’une langue à une autre.
« Nous avons rencontré des mots que nous ne pouvions pas traduire. Par exemple, nous avons dû expliquer le terme “spermicide” », indique M. Peterrock Muriuki, administrateur de programme au Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique, qui a travaillé sur la traduction en swahili. « Certains mots, lorsqu’ils sont prononcés en swahili, sont tabous. Nous avons essayé d’utiliser des mots neutres ou non explicites. De manière générale, nous avons réussi à faire comprendre le sens grâce à des explications. »
Ces discussions et d’autres échanges ont conduit à l’examen et à la mise à jour de fiches dans UNTERM, la base de données terminologique multilingue des Nations Unies. Ces travaux contribuent à garantir la clarté et la cohérence des débats au sein des Nations Unies, et à éviter les mots et les formules qui renforcent la stigmatisation, par exemple sur des sujets tels que l’avortement. La prochaine étape consistera à étoffer les glossaires multilingues pour aider les interprètes et à traduire dans les six langues des Nations Unies tout le contenu de l’OMS et du HRP relatif à la santé sexuelle et reproductive.
Face à un langage contrôlé, le multilinguisme est une force
À l’heure où les débats idéologiques sur le genre, la diversité et la mésinformation s’intensifient, et où les choix linguistiques sont influencés par la polarisation politique, il est plus important que jamais de rester attentif à la façon dont le langage peut être utilisé et manipulé comme instrument de stratégie politique.
Le développement de l’intelligence artificielle et des grands modèles de langage à des fins de traduction crée de nombreuses possibilités, mais comporte aussi des risques en termes d’exactitude et de cohérence, ce qui peut nuire à la confiance que le public accorde aux éléments de preuve scientifiques – et donc à la connaissance de ses droits.
La diversité est une force, et l’équité linguistique est un outil puissant qui vient étayer notre engagement commun en faveur de la santé sexuelle et reproductive et des droits connexes dans le monde.
La santé sexuelle et reproductive est un élément fondamental de la couverture sanitaire universelle, mais des composantes essentielles sont souvent exclues des prestations de santé. Pour que l’accès à la santé soit le plus large possible, tout le monde doit bénéficier d’informations et de services fondés sur des données probantes qui répondent aux besoins et aux contextes locaux.
« Quand, pour la dernière fois, avez-vous vraiment pensé aux mots que vous utilisez ? Le langage peut devenir une habitude qui nous amène à renforcer inconsciemment des biais. Pire, le langage peut devenir un outil d’exclusion », déclare la Dre Pascale Allotey, Directrice du Programme spécial des Nations Unies en reproduction humaine et du Département Santé sexuelle et reproductive et recherche de l’OMS. « La diversité est une force, et l’équité linguistique est un outil puissant qui vient étayer notre engagement commun en faveur de la santé sexuelle et reproductive et des droits connexes dans le monde. »
Les activités décrites ici ont été financées par le Gouvernement canadien, par l’intermédiaire du Programme spécial PNUD/FNUAP/UNICEF/OMS/Banque mondiale de recherche, de développement et de formation à la recherche en reproduction humaine (HRP), un programme coparrainé mis en œuvre par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).