Excellence Monsieur Volkan Bozkir, Président de l’Assemblée générale,
Madame la Secrétaire générale adjointe Amina Mohamed,
Excellences, mes chères sœurs et frères,
Il y a 75 ans, alors que le monde était encore sous le choc du deuxième conflit mondial en 30 ans, un nouveau projet a été conçu - un projet né de la souffrance, de la mort et de la perte, mais aussi de l’espoir, et de la prise de conscience éclatante qu’il n’existe qu’un avenir commun.
Ce projet, bien entendu, était celui de la création de l’Organisation des Nations Unies.
Au cours des 75 dernières années, l’Organisation des Nations Unies a obtenu de nombreux succès et relevé de nombreux défis.
Mais aucun défi n’a été plus important que la pandémie de COVID-19, qui a mis à rude épreuve le fondement même du multilatéralisme.
Nous avons tous eu des défis à relever et des enseignements à tirer, cependant la pandémie a montré ce que l’Organisation des Nations Unies est en mesure d’accomplir lorsque son potentiel est pleinement exploité.
Si la COVID-19 est une crise sanitaire, elle a eu néanmoins des répercussions sur tous les domaines d’activité de l’Organisation des Nations Unies.
En effet, au tout début de la pandémie, le Secrétaire général et moi-même avons convenu de mobiliser l’équipe de gestion des crises de l’ONU, dirigée par le Chef du Programme OMS de gestion des situations d’urgence, le Dr Mike Ryan.
Nous avons œuvré en collaboration avec des collègues de toute la famille des Nations Unies dans de nombreux domaines, notamment les chaînes d’approvisionnement, les voyages, la communication, les rassemblements de masse, l’interface entre l’homme et l’animal, les activités conjointes dans les pays et bien d’autres domaines encore.
Par exemple, nous avons collaboré étroitement avec le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF et d’autres partenaires pour mettre en place la plateforme de la chaîne d’approvisionnement des Nations Unies, qui a permis de livrer des millions de tests et d’équipements de protection individuelle à 179 pays et territoires ;
Je tiens tout particulièrement à remercier Atul Khare, Mark Lowcock, Melissa Fleming, Robert Piper, Amer Daouidi et d’autres pour leur partenariat et leur soutien.
La pandémie a montré ce dont l’humanité est capable, le meilleur comme le pire :
Des actes de compassion et d’abnégation qui ont été des sources d’inspiration, des avancées scientifiques et des innovations extraordinaires, et des manifestations de solidarité émouvantes.
Mais aussi des signes inquiétants d’intérêt personnel, de transfert de responsabilité et de division.
Plus de 60 millions de cas de COVID-19 ont désormais été signalés à l’OMS, et 1,5 million de personnes ont perdu la vie.
S’il s’agit bien d’une crise sanitaire mondiale, il est important de garder à l’esprit que tous les pays n’ont pas réagi de la même façon et que chaque pays a été touché différemment.
De nombreux pays ont réussi à prévenir ou à endiguer la transmission généralisée de la COVID-19 grâce à des outils de santé publique ayant fait leurs preuves.
Ce n’est dû ni à la géographie, ni à la démographie.
Ces pays ont prouvé que grâce à la science, à la solidarité et au sacrifice, ce virus peut être maîtrisé.
Mais là où la science est éclipsée par les théories du complot ;
où la solidarité est menacée par la division ;
où le sacrifice est remplacé par l’intérêt personnel ;
Le virus se répand. Le virus se propage.
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Aujourd’hui, je souhaiterais présenter les quatre domaines clés nécessitant le leadership des nations, réunies au sein de l’Organisation des Nations Unies, pour mettre fin à la pandémie et construire le monde d’après.
Premièrement, investir dans les vaccins pour mettre fin à la pandémie.
Grâce aux résultats positifs obtenus ces dernières semaines dans le cadre des essais de vaccins, on peut commencer à voir la lumière au bout du tunnel.
Si la voie à suivre reste semée d’embûches, nous pouvons néanmoins commencer à entrevoir la fin de la pandémie.
Mais permettez-moi d’être clair : nous ne pouvons tout simplement pas accepter un monde dans lequel les pauvres et les marginalisés sont écrasés par les riches et les puissants dans la ruée vers les vaccins.
Il s’agit d’une crise mondiale, et les solutions doivent être partagées équitablement en tant que biens publics mondiaux, et non en tant que produits privés qui creusent les inégalités et deviennent une raison supplémentaire pour laquelle certaines personnes sont laissées de côté. Aucun pays ne doit être laissé de côté.
Ceci est vrai entre les pays, et à l’intérieur de ceux-ci.
Les efforts visant à réduction les inégalités ne doivent pas être déployés après la pandémie. Ils doivent faire partie intégrante de la riposte.
Si le monde échoue à cette tâche, quel espoir y a-t-il d’être à la hauteur de la portée et de l’ampleur des objectifs de développement durable ?
En avril, avec le soutien de nombreux partenaires, l’OMS a créé le dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (Accélérateur ACT).
Il s’agit d’un partenariat sans précédent dont les deux objectifs sont les suivants : développer rapidement des vaccins, des produits de diagnostic et des traitements, et garantir leur répartition et leur distribution équitable.
L’Accélérateur ACT a déjà permis d’obtenir des résultats concrets.
Nous avons conclu un accord pour l’achat de 120 millions de tests de diagnostic rapide à faible coût destinés aux pays à revenu faible ou intermédiaire.
Nous avons obtenu un approvisionnement en dexaméthasone - le seul médicament dont il a été démontré qu’il réduit le risque de décès dû à la COVID-19 - destiné à 4,5 millions de patients dans les pays à revenu faible.
Et dans le cadre de l’Accélérateur ACT, 189 pays et économies participent au mécanisme COVAX.
Toutefois, si l’Accélérateur ACT n’est pas entièrement financé, il risque de se réduire à un simple geste noble.
L’accélérateur ACT est confronté à un déficit de financement immédiat s’élevant à 4,3 milliards de dollars des États-Unis qui devait permettre de poser les bases de l’achat et de la fourniture en masse de vaccins, de produits de diagnostic et de traitements. L’année prochaine, 23,9 milliards de dollars É.-U. supplémentaires seront nécessaires.
Permettez-moi de mettre cela en perspective : cela représente moins d’un demi pour cent des 11 000 milliards de dollars E.-U. prévus dans les plans de relance annoncés par les pays du G20 jusqu’à présent.
Les vaccins sont un investissement qui sera remboursé rapidement et de manière multiple.
Le fait de partager les résultats de la science ne relève pas de la charité, c’est en effet dans l’intérêt de chaque nation.
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Deuxièmement, il faut investir dans la préparation pour prévenir la prochaine pandémie.
Malgré des années de mises en garde, de nombreux pays n’étaient tout simplement pas prêts à faire face à la COVID-19.
Nombre d’entre eux ont supposé à tort que leurs solides systèmes de santé les protégeraient.
Parmi les pays qui ont obtenu de meilleurs résultats, beaucoup ont une expérience récente en matière de riposte aux flambées de SRAS, de MERS, de H1N1 et d’autres maladies infectieuses.
Désormais, tous les pays doivent développer cette même « mémoire musculaire » et investir dans des mesures qui permettront de prévoir, de prévenir, de maîtriser et d’atténuer la prochaine crise.
En outre, il est manifeste que le système mondial de préparation doit faire l’objet d’une attention particulière.
Le Règlement sanitaire international est un outil juridique solide, mais les pays doivent l’utiliser de manière plus efficace.
Il est manifeste que le RSI ne pourra être efficace que s’il est fondé sur la confiance mutuelle, la responsabilité mutuelle, la transparence mutuelle et une solide légitimité politique.
En septembre, j’ai établi un comité chargé d’examiner le fonctionnement du Règlement sanitaire international pendant la pandémie et de formuler des recommandations sur la façon de renforcer son application – y compris le mécanisme binaire permettant de déclarer une urgence de santé publique de portée internationale.
L’OMS collabore également avec plusieurs pays en vue de mettre au point et de piloter un nouveau mécanisme, l’examen universel de la santé et de la préparation, dans le cadre duquel les pays conviendront d’un processus régulier et transparent d’examen par les pairs, similaire à l’examen périodique universel utilisé par le Conseil des droits de l’homme.
En outre, nous accueillons avec satisfaction l’initiative proposée par le Président du Conseil européen, mon ami Charles Michel, en faveur d’un traité international visant à établir le fondement politique nécessaire au renforcement de l’application du Règlement sanitaire international et de la sécurité sanitaire mondiale. Merci beaucoup, Monsieur le Président Michel.
La pandémie a également montré qu’il est urgent de mettre en place un système convenu au niveau mondial pour le partage de matériel pathogène et d’échantillons cliniques, afin de faciliter le développement rapide de contre-mesures médicales en tant que biens publics mondiaux.
La Suisse a généreusement proposé d’utiliser un laboratoire de haute sécurité dans lequel l’OMS pourrait gérer une nouvelle « biobanque », et nous élaborons actuellement le cadre en vertu duquel les échantillons seront fournis et partagés.
Et je souhaiterais saisir cette occasion pour remercier la Thaïlande et l’Italie d’avoir été les deux premiers pays volontaires à déposer des échantillons dans la banque.
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Troisièmement, investir dans la santé en tant que fondement de la paix et de la prospérité.
La pandémie a prouvé qu’une crise sanitaire ne se limite pas à la santé, mais qu’il s’agit d’une crise sociale, économique, politique et humanitaire.
Des millions de personnes ont perdu leurs moyens de subsistance, l’économie mondiale a été plongée dans sa plus forte récession depuis la Grande Dépression, les fissures géopolitiques se sont élargies et le système multilatéral a été remis en question.
Les risques liés au sous-investissement dans la santé ont des répercussions considérables, et de même les avantages découlant de l’investissement dans la santé sont considérables.
Ma chère sœur Amina, vous avez décrit la santé comme étant la pierre angulaire de l’ensemble des objectifs de développement durable. Je suis tout à fait d’accord.
La santé est un investissement dans des sociétés prospères. Elle permet aux individus, aux familles, aux communautés et aux nations de s’épanouir.
Chaque année, à l’échelle mondiale, le budget de la santé s’élève environ à 7 500 milliards de dollars É.- U., ce qui représente presque 10 % du PIB mondial.
Toutefois, la plupart de ces dépenses concernent les pays les plus riches et sont affectées de manière disproportionnée au traitement des maladies, plutôt qu’à la promotion et à la protection de la santé.
Nous devons repenser radicalement notre façon de concevoir et de valoriser la santé.
C’est pourquoi j’ai créé un nouveau Conseil sur l’économie de la santé pour tous, chargé d’examiner et de préciser les liens entre la santé et une croissance économique inclusive et axée sur l’innovation.
Ce conseil sera présidé par l’éminente économiste Mariana Mazzucato, et Son Excellence Sanaa Marin, la Première ministre de la Finlande, a généreusement accepté d’en être la marraine. Kiitos, Excellence.
La bonne nouvelle est qu’il existe déjà un engagement politique fort en faveur de la santé.
Lors de l’Assemblée générale qui s’est tenue l’année dernière, l’ensemble des États Membres de l’Organisation des Nations Unies ont décidé d’approuver la déclaration politique de haut niveau sur la couverture sanitaire universelle.
Vous avez adopté une vision d’un monde où chacun a accès aux services de santé essentiels, sans devoir faire face à des difficultés financières.
La pandémie n’a fait que souligner l’importance de la couverture sanitaire universelle.
Face à la pandémie, de nombreux pays ont fourni des tests et des traitements gratuits contre la COVID-19, et ont promis de vacciner gratuitement leurs populations.
Ils ont reconnu que la capacité à pouvoir prendre en charge ses dépenses de soins ne doit pas constituer la différence entre la maladie et la santé, entre la vie et la mort.
Ne devrait-il pas en être de même pour une crise comme le cancer, les cardiopathies, le VIH, la tuberculose ou le paludisme ? Ne devrait-il pas en être de même pour des services tels que la vaccination systématique, les soins maternels et la lutte antitabac, qui peuvent prévenir une crise – ainsi que les coûts de sa gestion ?
La couverture sanitaire universelle repose sur des systèmes de santé solides.
Parmi les pays les plus touchés par la COVID-19, de nombreux sont dotés de systèmes de santé hautement médicalisés, qui ont accès aux médicaments et aux dispositifs les plus avancés du monde, ainsi qu’à des spécialistes.
Ces éléments ont une grande valeur, mais trop de pays ont négligé les investissements dans les fonctions de santé publique essentielles, lesquelles nécessitent des investissements très limités et constituent le fondement de nations sûres et en bonne santé.
En particulier, des soins de santé primaires solides constituent le cœur de tout système de santé, et sont essentiels pour prévenir tout type de situation d’urgence et y faire face, de la crise personnelle provoquée par un infarctus du myocarde à la flambée d’un nouveau virus mortel comme celui-ci.
Si le monde veut éviter une autre crise de cette ampleur, il est essentiel d’investir dans les fonctions de santé publique essentielles, et notamment dans les soins de santé primaires.
Tous les chemins doivent mener à la couverture sanitaire universelle, avec des soins de santé primaires comme fondement solide.
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Et quatrièmement, investir dans le multilatéralisme pour préserver notre avenir commun.
Un vaccin contribuera à mettre fin à la pandémie, mais il ne s’attaquera pas aux vulnérabilités qui la sous-tendent.
Il n’existe pas de vaccin contre la pauvreté.
Il n’existe pas de vaccin contre la faim.
Il n’existe pas de vaccin contre l’inégalité.
Il n’existe pas de vaccin contre le changement climatique.
Une fois la pandémie terminée, nous serons confrontés à des défis encore plus importants par rapport à la période antérieure à celle-ci.
En 2015, les nations du monde ont adopté les objectifs de développement durable, avec leur vision globale pour les personnes, la planète, la prospérité, la paix et le partenariat.
La même année, les nations ont adopté l’accord de Paris et le Programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement, que j’ai eu l’honneur de présider.
Le monde s’est rassemblé autour d’une vision commune pour l’avenir.
Mais au cours des années qui ont suivi, nous avons assisté à une dangereuse divergence.
L’accord de Paris a été compromis ; les engagements pris dans le cadre du Programme d’action d’Addis-Abeba n’ont pas été respectés dans une large mesure ; et bien que des progrès aient été accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable, nos efforts sont trop souvent restés isolés et fragmentés.
Ensemble, nous devons une fois de plus choisir la convergence, la collaboration, la coopération et la solidarité. La convergence ou la divergence sont des choix.
Ensemble, nous devons répondre à l’appel du Secrétaire général en faveur d’une Décennie d’action pour poursuivre la réalisation des objectifs de développement durable avec encore plus d’innovation et de détermination. Je vous remercie, Monsieur le Secrétaire général.
L’année dernière, l’OMS et 11 autres instances multilatérales se sont réunies pour lancer le Plan d’action mondial pour une vie saine et le bien-être pour tous, afin d’aider les pays à accélérer la réalisation des objectifs de développement durable liés à la santé.
Ce type de collaboration - entre partenaires et entre pays - doit caractériser l’ère post-pandémique.
Ensemble, nous avons montré que face à une crise mondiale, le monde peut se rassembler de manière inédite pour résoudre des problèmes urgents.
Et ensemble, nous devons exploiter cette même urgence et cette innovation pour relever l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés.
Personne d’autre ne le fera, et cela ne peut pas attendre.
Nous devons le faire, et ce dès maintenant.
L’humanité a déjà vaincu de nombreux fléaux et pandémies par le passé, et nous vaincrons celle-ci.
Mais nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, revenir aux mêmes modèles d’exploitation en matière de production et de consommation, au même mépris de la planète qui soutient toutes les formes de vie, au même cycle de panique et de négligence, et aux mêmes politiques de division qui ont alimenté cette pandémie.
La pandémie nous a amenés à la croisée des chemins.
Derrière nous se trouve le chemin du statu quo, le chemin qui nous a mené à cette crise.
Une nouvelle voie se présente à nous : une voie où les nations ne se considèrent pas comme des rivales dans un jeu où personne n’est gagnant, mais comme des compagnons de route ayant les mêmes aspirations, les mêmes espoirs et les mêmes rêves.
Une vision qui affirme notre histoire commune et notre avenir commun.
Une vision qui reconnaît que nous sommes plus riches de notre diversité et que nous sommes plus que la somme de nos parties. Notre diversité fait notre beauté et notre force.
L’Organisation des Nations Unies, 75 ans après sa création, reste plus pertinente et plus essentielle que jamais.
L’OMS est fière de faire partie de la famille des Nations Unies.
Et nous demeurons déterminés à œuvrer avec tous les pays pour faire en sorte que L’Organisation des Nations Unies soit à la hauteur de son nom et de ses aspirations.
Je vous remercie.